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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 juin 1841

3 juin, jeudi matin, 4 heures et demie [1841] [1]

Bonjour adoré petit homme, bonjour pauvre bien-aimé, bonjour monsieur l’académicien. Comment vas-tu mon Toto bien aimé ? Il est bien à craindre que tu ne sois horriblement fatigué pour tantôt [2], pauvre adoré. Il me semble que tu aurais pu faire imprimer un jour plus tôt et garder cette nuit pour te reposer [3].
Vraiment, je ne sais pas comment tu feras pour prononcer ton discours après plusieurs jours de fatigues atroces, et d’une nuit passée à corriger des épreuves à l’imprimerie ? Il n’y a que toi pour des tours de force de ce genre ; mais cependant, mon bien-aimé, il serait bientôt temps de changer ce régime qui ne tend à rien moins qu’à te tuer en détail. J’espère que tu vas mettre à profit les quelques heures qui te restent d’ici là pour te jeter sur ton lit !
Je sens déjà quelque chose qui me remue dans l’estomac comme si je devais prononcer moi-même le discours. Je suis sûre que je serai dans un état hideux jusqu’à ce que tu aies fini. Je ne me remettrai qu’au discours de Salvandy. D’ici là j’aurai une montagne sur l’estomac. Voici un autre incident périodique qui m’arrive tout à point dans ce moment. Quelle chance ! Ia, ia, Monsire, Matame, il est son sarme. Il est à désirer qu’il ne m’arrive rien de plus fâcheux aujourd’hui mais j’en doute, vu le guignon qui me suit et me poursuit. Quoi qu’il arrive, je t’adore.

Juliette.

Collection particulière, Les Collections Aristophil, n° 25 (étude ADER, Th. Bodin expert, Drouot-Richelieu 21 novembre 2019, n° 972
[Guimbaud]
Notes de Gwenaëlle Sifferlen


3 juin [1841] [4], jeudi soir, 5 h. ½

Pour où commencerai-je, mon amour, par tes pieds divins ou par ton front céleste ? Que te dirai-je en premier, mon adoré, l’admiration ou l’adoration qui me remplissent le cœur et qui me débordent autant que ton génie sublime dépasse toutes les médiocres intelligences qui t’écoutaient sans te comprendre et te regardaient sans tomber à genoux ? Ȏ laisse-moi confondre et mêler ces deux sentiments qui m’éblouissent l’esprit et me brûlent le cœur. Je t’aime, je t’admire, je t’adore. Ȏ tu es vraiment beau, noble et sublime, mon poète, mon bien-aimé, la lumière de mes yeux, la flamme de mon âme, la vie de ma vie. Pauvre bien-aimé adoré, en te voyant entrer si pâle et si ému je me suis sentie mourir et sans M. Desmousseauxa et Mme Pierceau qui m’ont secourue je serais tombée sur le plancher. Personne heureusement ne s’est aperçub de mon émotion et quand je suis revenue à moi et que j’ai vu ton doux sourire me répondre et me rassurer, il m’a semblé que je sortais d’un rêve pendant lequel j’aurais longtemps dormi péniblement quoiqu’il y eût eu à peine une minute. Merci, mon adoré, merci d’avoir pensé à la pauvre femme qui t’aime dans un moment si sérieux, je pourrais dire suprême si les gens qui étaient là n’avaient été pour la plupartc de hideux crétins et d’immondes gredins. Merci, mon bon ange, merci mon sublime Victor, mon illustre enfant. Je les ai vus tous mes chers petits : Didine ravissante, Charlot charmant et mon cher petit Toto [5], pareil à l’autre, qui avait l’air pâle et souffrant. Je les ai tous baisés de l’âme comme leur divin père. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 219-220
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud]

a) « Démousseau ».

Notes

[1Louis Guimbaud, Victor Hugo et Juliette Drouet, d’après les lettres inédites et avec un choix de ces lettres, Paris, Auguste Blaizot éditeur, 1914, p. 377.

[2La cérémonie de réception à l’Académie française de Hugo va se dérouler l’après-midi même, à 14 h.

[3Hugo a passé toute la nuit précédente à corriger les épreuves de son discours déjà sorties de l’imprimerie.

[4Victor Hugo a prononcé son discours faisant l’éloge du défunt Népomucène Lemercier dont il va occuper le fauteuil, et Salvandy, chargé de le recevoir, lui a répondu. La séance étant publique, Juliette, la famille de Hugo, ses amis, et de nombreuses connaissances y ont assisté sous la Coupole. Dans le feuilleton de Delphine de Girardin paru dans La Presse le 6 juin, on lit : « Jamais, de mémoire d’académicien, on n’avait vu pareille affluence, jamais la foule n’avait été plus agitée, plus impatiente ; jamais plus de coups de poing ne furent donnés par intérêt de littérature, et jamais coups de poing ne frappèrent de plus charmantes épaules ; jamais, non, jamais, on n’avait compté tant de femmes et tant de jolies femmes dans la docte enceinte ; jamais on n’avait admiré tant de fleurs dans le vieux bocage. / Dès dix heures du matin la salle était pleine de monde ; à dix heures un quart, les huissiers étaient déjà forcés d’être ingénieux, c’est-à-dire d’utiliser les recoins, d’improviser les tabourets microscopiques. Et depuis onze heures jusqu’à deux heures que la séance commença, les portes furent assiégées ».

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