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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 avril [1841], [mercredi], 10 h. ¾ du matin

Bonjour cher petit bijou, bonjour cher adoré, comment vas-tu ce matin ? Moi je vais médiocrement, peut-être n’est-ce que demain ou à la médecine suivante que le beau aura lieu. J’avale du bouillon coupé, ce qui me donne un vague mal de cœur tout à fait désagréable [1].
Je déjeunerai dans deux heures car M. Triger m’a ordonné de manger comme à mon ordinaire sur les midi ou une heure, ce que je ne manquerai pas de faire. Ia, ia monsire matame, il est son sarme. Du reste, vous ne me plaignez pas et il y a pourtant bien de quoi car outre que c’est affreusement mauvais cela vous donne des coliques atroces. Quand vous y serez je serai sans pitié et je me frotterai les mains à chaque COUPE de nectar [2]. En attendant, je déclare le traitement impossible en voyage ainsi que nous l’avait dit cet absurde Triger. Pour moi je m’en fiche parce que je serai guérie, guérite et guéridon, le jour où il faudra se mettre en route ; pour moi le voyage c’est la panacée universelle comme l’amour est ma vie [3]. Il va sans dire que je brave et que je me moque des coups de soleil. Pourvu que vous veniez bien vite me prendre, j’irai partout et autre part encore sans PARASOL [4], pourvu que vous me serviez d’ombre et que vous ne me quittiez pas. Je vous adore Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 99-100
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette


28 avril [1841], mercredi soir, 4 h. ¼

Si j’avais attendu après vous, mon Toto, pour faire mes affaires, j’aurais attendu longtemps. Cependant vous ne pouviez pas dire que la foire n’était pas sur le pot [5] comme dit le proverbe mais bien le contraire. Je ne vous en veux pas, je sais que vous travaillez. Je sais que vous avez beaucoup d’autresa chiens à fouetter, trop heureuse encore si dans le nombre il ne se glisse pas quelque femelle. Pendant ce temps je grignoteb mes petites coliques : le médecin m’avait assuréec que je serais débarrassée à 10 ou 11 h. du matin et pas du tout. Je souffre encore à présent, ce qui me prouve que son infaillibilité de Purgon [6] est très faillible à mon endroit. Et penser que je recommencerai encore ce soir, voilà ce qui me vexe horriblement.
Je ne copie pas à cause du mal de tête mais j’ourle mes serviettes, cela m’occupe sans me fatiguer. Quel beau temps mon Dieu et quel dommage de rester chez soi. Il est vrai qu’aujourd’hui j’y suis à peu près forcée mais pour moi tous les jours sont des jours de médecine quandd il s’agit de me faire sortir. Je vous aime Toto, je vous adore mon bon petit bien-aimé. Baisez-moi et ne me laissez pas toujours foirer toute seule. J’ai besoin d’être encouragée ou bien je renonce à ce métier de malade imaginaire qui ne me chaute pas du tout.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 101-102
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « d’autre ».
b) « grignotte ».
c) « assuré ».
d) « quant ».
e) « chausse ».

Notes

[1Juliette souffre souvent de maux de ventre ou de tête violents et vient donc de commencer un traitement, prescrit par le docteur Triger, qui va durer plusieurs mois. Elle précise ses recommandations le 21 avril.

[2Juliette rappelle fréquemment à Hugo que le traitement qu’elle est en train d’expérimenter lui a aussi été prescrit pour plus tard car il souffre d’une maladie de peau.

[3Depuis 1834, le couple a pris l’habitude d’effectuer un voyage de quelques semaines ou mois pendant l’été et le printemps. Malheureusement, en 1841, Hugo sera trop occupé par la rédaction monumentale de ses souvenirs de voyage, Le Rhin, et leur voyage annuel n’aura pas lieu, au grand désespoir de Juliette.

[4Expression qui revient à plusieurs reprises sous la plume de Juliette, à élucider.

[5Juliette fait ici un rapprochement humoristique entre l’expression populaire « la foire n’est pas sur le pont » pour signaler qu’il y a le temps, qu’il n’est pas besoin de tant se presser, et le mot familier « foire » qui désigne le fait d’avoir la diarrhée (Littré).

[6Jeu de mot sur le nom de M. Purgon, médecin dans Le Malade imaginaire de Molière, pièce dans laquelle Juliette Drouet avait joué en novembre 1833.

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