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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 avril [1841], vendredi matin, 11 h. ¼

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon adoré Toto. Pourquoi n’es-tu pas venu, méchant ? C’était pourtant bien le moment ? Si tu continuesa comme cela il n’y a pas moyen de s’en sortir et la vie devient par trop embêtante. Je vous prie de penser à cela et de me donner une pauvre petite matinée de temps en temps.
Il fait encore un temps ignoble ce matin, c’est fort ennuyeuxb car cela influe sur ma carcasse et me donne des douleurs partout. Je suis en outre très disposée à grognonner ce matin, je suis en colère contre tout le monde mais surtout contre vous, vieux bonhomme. Vous mériteriez que je vous fichasse des coups sur votre nez et ailleurs. Ha ça, le fameux discours doit pourtant s’avancer [1] ? Je vous y vois toujours travailler, vous ne venez pas déjeuner avec moi sous prétexte de Lui. Je voudrais bien savoir enfin quand il sera fini, d’abord pour entendre l’autre moitié [2] et puis pour vous forcer à me donner signe de vie et à vous apercevoirc que j’existe et que je suis là. Je vous préviens que je suis à bout de ma patience, de mon courage et de ma résignation, ça ne peut pas aller plus loin comme ça. En attendant, tâchez de venir très vite et très tôt auprès de votre vieille rabâcheuse de Juju. Baisez-moi, scélérat, baisez-moi encore qu’on vous dit. Je vous aime affreux Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 55-56
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « continue ».
b) « ennuieux ».
c) « apperçevoir ».


16 avril [1841], vendredi soir, 5 h. ¾

Je me réjouis, mon adoré, de la pensée que tu viendras dîner ce soir auprès de moi. Ne crois pas, mon cher bien-aimé, en me trouvant si tard à faire ma toilette que c’est paresse, car j’ai au contraire arrangé mon armoire aux livres [3], celle aux habits et celle à la vaisselle de fond en comble. C’est ce qui est cause que j’étais si en retard pour mes ablutions. Tu sauras, mon cher bijou, que je viens de faire raccommodera ton paletot encore une fois. La doublure des manches était usée et le col et les parementsb tout décousus. Tu es un casse-tout et un brise-tout avec tes mains et autres mais si cela continue, je serai forcée d’avoir Pauline à l’année rien que pour vous raccommodera. Vous avez oublié d’emporter vos mouchoirs cette nuit. Tant qu’ils n’ont pas été prêts vous ne m’avez pas donné de cesse, à présent que les voici, vous n’en avez plus besoin. Mais vous êtes un monstre. Baisez-moi atroce scélérat.
Je n’ai pas écrit l’argent de la pension [4] parce que je ne sais pas comment le désigner. J’attendrai que vous m’ayez donné le renseignement ce soir. En attendant, je baise vos chers petits pieds et vos belles petites mains et je vous aime de toute mon âme.

BnF, Mss, NAF 16345, f. 57-58
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « racommoder ».
b) « parments ».

Notes

[1Victor Hugo a été élu le 7 janvier 1841 à l’Académie française, et sa grande cérémonie de réception, à l’occasion de laquelle il doit prononcer un discours, est prévue pour le 3 juin 1841. L’échéance approchant, le poète y consacre depuis le 19 mars une bonne partie de son temps.

[2Quelques jours auparavant, le 11 avril, Hugo a lu la première partie de son discours à Juliette.

[3Juliette conserve dans cette armoire les œuvres que Hugo a laissées chez elle ou lui a demandé de conserver afin de pouvoir les consulter ou les emprunter ultérieurement. Certaines sont là depuis de nombreuses années.

[4Claire, la fille de Juliette est pensionnaire d’un établissement de Saint-Mandé depuis 1836 et c’est Hugo qui en assume les frais à la place de son véritable père, James Pradier.

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