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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 mars 1841

13 mars [1841], samedi soir, 4 h. ¾

Vous voilà déjà parti, mon cher bijou d’homme, et moi j’ai déjà mal à la tête et dans le cœur ; à peine avez-vous tourné le coin fatal [1] que toute ma gaieté et toute ma santé m’abandonnenta. C’est sans la moindre exagération, mon cher petit homme. Vous étiez très joli tout à l’heure, mon amour, c’est peut-être parce que vous êtes si charmant que je suis si malheureuse dès que je vous perds de vue. Je me souviens que vous ne vous faites aucun scrupule de regarder les fenêtres des femmes qui font attention à vous et je tremble [2]. C’est assez juste, n’est-ce pas mon cher petit freluquet ? Du reste, je pousse la niaiserie jusqu’à la stupidité en vous fournissant des verges pour me fouetter. Par exemple, je vous demande peu pourquoi je vous fournis des doublures de paletot en veloursb et des robes de chambre brodéesc en or ? On n’est pas plus serinne que moi et vous devez en convenir entre cuir et chair. Oui, mais ne t’y fie pas toujours, tout ça sont autant de pièges que je tends à ta vertu et si tu avais le malheur d’y tomber une seule fois, Dieu sait dans quel état tu en sortirais. Brefle, je te conseille de ne pas aller de l’avant et d’y regarder à deux fois avant de lever les yeux sur aucune toupie [3] des 12 arrondissements. Tâchez, mon amour, de me faire un peu sortir ce soir, j’ai un mal de tête horrible et l’exercice me ferait du bien. Jour Toto, jour mon petit o.
Mon Dieu que je serais heureuse si vous vouliez me donner votre chère petite farimousse réduite d’après le procédé… Turlututu, le nom n’y fait rien. Je vous baiserais partout et ailleurs autant de fois et plus que vous ne le voudriez, mais, mais hélas ! ça n’est pas pour moi que les portraits chauffent.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 235-236
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « m’abandonne ».
b) « velour ».
c) « brodé ».

Notes

[1Il ne s’agit pas simplement d’une façon de parler : Juliette observe vraiment Hugo jusqu’à ce qu’il ait tourné le coin de la rue, en général pour vérifier qu’il aille bien dans la bonne direction.

[2Comme Juliette y fait allusion à de nombreuses reprises, Hugo, grand marcheur, apprécie d’observer les fenêtres le soir ou la nuit lorsqu’il se promène dans la rue, dans le but d’apercevoir des silhouettes de femmes (voir par exemple la lettre du 29 avril). D’ailleurs, le poète agit aussi de la sorte avec Juliette qu’il épie parfois de l’extérieur lorsqu’elle a allumé ses bougies.

[3Toupie : femme de mauvaise vie.

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