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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 avril 1841

10 avril [1841], samedi matin, 11 h. ½

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon amour chéri, bonjour toi que j’aime. Votre arrangement a l’air de faire joliment bien, moi je vais faire aussi ma petite besogne de précaution qui ne sera pas inutile je l’espère. Je viens de recevoir une lettre de la femme qui soigne mon père [1]. Je l’ai ouverte dans l’impatience de savoir de ses nouvelles, j’espère que tu ne me gronderas pas et que tu ne me feras pas de chagrin pour une chose si simple et si naturelle et que je pourrais te cacher si je n’apportais pas une entière loyauté dans toutes mes actions et dans toute ma conduite. Je t’aime, mon Victor bien-aimé, tu n’as rien à craindre de moi.
Jour, c’est vous qui êtes le gros brochet et moi qui suis la petite perche, ia, ia il est son sarme. Je ne suis plus malade aujourd’hui, si j’ai le temps je me rajeunirai. Ce sera long et difficile et peut-être impossible, cependant j’essaieraia [2]. Qui [ne] risqueb rien n’a rien, comme on dit.
L’embêtant, ce sont les créanciers [3]. J’ai beau avoir l’argent tout prêt, je rage dans ma peau tout le temps que ces hideux bonshommes font queue chez moi. Le jour où il n’y en aura plus un seul, je pousserai un fameux cri de joie : QUEL BONHEUR !!! Hélas ! ce jour-là n’est pas prèsc d’arriver et tu auras le temps de succomber à la peine avant de le voir, pauvre bien-aimé adoré. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime. Je baise tes chers petits pieds, tes belles mains, tes beaux yeux, ta ravissante bouche et toute ton adorable petite personne.
J’ai oublié de te dire que mon pauvre père n’allait pas mieux, au contraire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 37-38
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « j’esseirai ».
b) « Qui risque ».
c) « prêt ».


10 avril [1841], samedi soir, 8 h. ½

Ah ! vous ne me donneriez pas les 10 sous que j’aurais loyalement et si chèrement gagnés ! Ah ! oui ! ah ! c’est comme ça, aussi avec l’instinct qui me distingue je ne me suis pas laissé faire non plus. Reviens-y, affreux PÔlisson, je t’en ficherai des claques et des 10 sous, escroqueur. Je ne sais qui me retient de ne pas regarder ce que vous avez gribouillé tout ce soir, ce serait une juste représailles cependant, à voleur friponne et demie. Mais non, je ne veux pas rester pauvre mais honnête [4], entendez-vous ça, vieux voleur ? Vous êtes un filou, un [pingre  ?] et un [bonjourrien  ?], je ne vous dis que ça. Baisez-moi, je vous le permets même à l’endroit défendu si vous pouvez. Tâchez de ne pas me laisser moisir en vous attendant ; je me porte comme un charme ce soir et je ne serais pas fâchée de faire un tour avec vous. Ah ! mon Dieu, quelle naïveté j’ai laissé tomber de ma plume : – je me porte comme un charme. En voilà assez pour me faire rester quinze jours chez moi sans bouger. À la bonne heure, si j’avais une grosse fièvre, une affreuse courbature ou quelquea atroce migraine, oh ! alors la chance serait bonne et vous me feriez sortir morte ou vive. Eh bien tâchez d’oublier ce que je vous ai dit et mettez que je suis à la mort ce soir et faites moi sortir. En attendant, laissez-vous aimer et adorer par votre vieille

Juju

BnF, Mss, NAF16345, f. 39-40
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « qulque ».

Notes

[1L’oncle de Juliette, René-Henry Drouet, est hospitalisé aux Invalides, très malade, mais sa seconde épouse, une dame Godefroy, lui donne des soins et envoie régulièrement par lettre de ses nouvelles à Juliette.

[2Juliette passe parfois des heures à chercher ses cheveux blancs et à les arracher méthodiquement pour dissimuler ces marques de vieillissement

[3Tous les dix du mois, des créanciers comme le tapissier Jourdain, Lafabrègue ou l’homme de Gérard viennent récupérer les sommes qu’on leur doit.

[4Citation de L’Indigent de Louis-Sébastien Mercier, qui revient à plusieurs reprises sous la plume de Juliette et devient même l’objet d’un jeu de mots dans sa lettre du 27 novembre après-midi : « Je suis pauvre maisonnette, curieuse et discrète, ce dont j’enrage de toutes mes forces ». Rémi, refusant de laisser corrompre sa fille, répond à De Lys : « Que direz-vous, Monsieur ? Parlez, achevez votre ouvrage ; poignardez le cœur d’un père ; osez le corrompre pour faire une infâme de sa fille. Je suis pauvre, mais honnête ; je n’ai jamais rougi de l’infortune, mais je me sens humilié de l’idée que vous avez conçue ; et de quel droit comptez-vous me rendre votre complice ? » (Remerciements à Chantal Brière).

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