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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 juillet [1841], jeudi matin, 11 h. ½

Je m’étais bien doutéea, mon Toto, que vous me feriez le tour de ne venir qu’après la cérémonie [1]. Cependant, mon pauvre ange, s’il y a une chose injuste et insupportable dans ce monde, c’est celle que tu prétends m’imposer en me faisant rester de force chez moi tandis que tu te montres en public. Je suis d’une nature chez qui l’injustice, n’importe d’où elle vient, cause une vive indignation, mais de ta part elle m’afflige et elle me décourage à un point que je n’ose pas dire. Il est vrai de dire que, pour me consoler et me faire prendre courage, j’ai les nouvelles de M. Pradier et l’avenir de ma fille à méditer [2], sans parler de bien d’autres inquiétudes qui, pour n’être pas à la surface, n’en existentb pas moins au fond de la pensée. Tout cela ne serait rien si je ne prévoyais pas à travers tousc ces chagrins la perte de ton amour mais à la manière dont tu y vas je n’en ai pas pour longtemps. Il est vrai qu’au bout de ce fossé il y a la culbute, absolument comme à tous les malheurs qui ne vous laissent pas la force de vivre, mais c’est toujours un remède médiocre qui répugne aux plus misérables.
J’espère que tu viendras aussitôt la cérémonie finie, à moins qu’il n’y ait quelque femme à reconduire, ou quelque sollicitueuse à entendre, ou quelque admiratrice à écouter, auquel cas je ne te verrais que ce soir, ce qui est tout simple. Enfin, mon Toto, tu sais ce que tu fais. Ce que tu fais n’est pas bien mais je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 27-28
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « douté ».
b) « existe ».
c) « tout ».


8 juillet [1841], jeudi après-midi, [  ?] h. ½

Pendant que vous trônez à l’Académie, moi je pleure et je souffrea ; il aurait dépendu de vous cependant de m’épargner cette peine en me faisant aller à cette séance ou en n’y allant pas vous-même. Mais je dois vous prévenir, mon Toto, que ce genre de sacrifice et de souffrance m’est insupportable et que si cela se représente encore je ne sais pas ce que je ferai plutôt que de m’y résigner. Nous ne sommes pas en Orient et vous ne m’avez pas achetée, grâce au ciel. Je suis libre de me soustraire à des procédés qui ne sont ni justes ni honnêtes ni affectueux [3]. Je vous jure, par ce qu’il y a pour moi de plus sacré au monde, par mon amour, de ne pas me prêter une troisième fois à ce genre d’exploitation de la pensée, du dévouement et de l’amour d’une pauvre femme. Si vous saviez tout ce qu’il y a de colère et de souffrance en moi au moment où je vous écris, vous ne risqueriez pas une troisième épreuve de ce genre si vous m’aimez. Dans tous les cas, gardez cette lettre comme un avertissement et une sommation sans frais de ce que je suis capable de faire si vous avez la cruauté de persister dans ce genre de procédé. En attendant je fais tous mes efforts pour ne me livrer à aucune démarche fatale pour tous les deux, mais soyez sûr que je ne pourraib pas être longtemps maîtresse de moi [4].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 29-30
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « soufre ».
b) « pourrais ».

Notes

[1Réception à l’Académie française de François Roger de Louis-Clair de Beaupoil, comte de Sainte-Aulaire (1778-1854), élu à l’Académie française, comme Hugo, le 7 janvier en remplacement du marquis de Pastoret. Victor Hugo, quant à lui, a été reçu le 3 juin, et tous les jeudis ont lieu les séances publiques à l’Académie. Juliette demande depuis le début à y assister, mais Hugo se montre pour l’instant réticent. La veille au soir, elle soulignait avec désespoir l’injustice de la situation (voir lettre du 7 juillet).

[2Cela fait déjà quelque temps que Juliette s’inquiète pour sa fille Claire. En effet, sans ressources propres, elle ne peut envisager de garder sa fille auprès d’elle, Hugo ne peut s’investir davantage et elle ne peut compter sur son véritable père, James Pradier, qui ne joue pas son rôle. Elle réfléchit donc au moyen le plus avantageux, ou en tout cas le moins désagréable, pour assurer l’avenir de Claire et en faire une femme honnête : trouver un emploi dans son pensionnat de Saint-Mandé. L’adolescente y deviendra sous-maîtresse.

[3Juliette a déjà tenu des propos similaires dans sa lettre du dimanche 27 juin au matin : « Baisez-moi, je vous aime mais je ne suis pas une femme abysinienne ni une femelle turque, je vous en préviens ».

[4Juliette a déjà été capable de prouver à Hugo qu’elle ne plaisantait pas. En effet, en août 1833, suite à une violente dispute, elle a brûlé toutes les lettres qu’il lui avait envoyées. Et le 2 août 1834, elle s’est enfuie en Bretagne avec sa fille, obligeant Hugo à venir la chercher. Cependant, ils n’avaient pas encore contracté leur « mariage symbolique » et elle possédait encore ses ressources propres ; en 1841, Juliette ne peut plus se permettre de telles réactions.

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