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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 janvier [1841], mardi matin, 10 h. ¾

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher adoré, bonjour ma vie, bonjour ma joie, bonjour toi que j’aime.
Il paraît, mon pauvre petit homme, que tu n’as pas pu venir encore ce matin ; ainsi voilà bientôt quinze jours que, travail, visites, visites et travail [1]. Je te vois à peine un moment le soir. C’est bien triste mon pauvre adoré, je ne t’en veux pas mon pauvre adoré. Je ne grogne pas, je me plains parce que je t’aime et qu’il m’est douloureux de penser que le temps que tu pourrais me donner toutes les nuits pour notre bonheur à tous les deux est consacré à un affreux travail qui ne finira jamais car tous les jours les mêmes besoins renaissent. C’est triste, triste, mon adoré.
Je m’étais cependant bien démenée hier pour te laisser la latitude de venir ce matin en écrivant à Jourdain de ne venir que ce soir, ou mieux encore demain si tu l’avais voulu, mais c’est comme si j’avais pissé dans une guitare. Tu es resté courageusement chez toi à travailler comme un pauvre chien. Je ne sais plus à quel saint M’AVOUER car tous font la sourde oreille et ne me répondent pas. Je voudrais être à même de gagner ma vie pour te débarrasser d’abord [2] et puis il me semble que je trouverais le moyen de te prendre tout le bonheur dont j’ai besoin et que tes occupations t’empêchent de me donner.
Je rabâche tous les jours la même chose, mon cher bien-aimé, ce qui prouve que tous les jours j’ai le regret de ne pas t’avoir baisé et caressé comme je le désire. Je t’aime trop, mon pauvre adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 35-36
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette


12 janvier [1841], mardi soir, 4 h. ½

Je suis donc bien laide et bien maussade, mon cher adoré, puisque chaque fois que tu me vois tu me trouvesa l’air triste, fatiguée et les yeux rouges ? En vérité, sans avoir beaucoup sujet de me réjouir je n’en ai pas non plus de verser des larmes de sang jour et nuit. Du moins je ne le sais pas, il faut donc que ce soientb tes yeux et ma vétusté qui me font paraître avec des signes de désespoir et de maladie ; mais ça n’en est ni plus beau ni plus consolant pour toi et pour moi et je voudrais bien changer ma figure d’à présent contre celle qui te plaisait autrefois. À force de t’entendre répéter que je suis changée, que je suis laide, je le crois de reste et j’en prends de l’inquiétude pour ton amour et pour mon bonheur. Ainsi donc, mon adoré, je vais faire tout mon possible pour reprendre ma gaieté et ma BEAUTÉ. Hélas ! ce sera difficile, sinon IMPOSSIBLE, pour la beauté du moins [3].
J’ai refusé tantôt de sortir avec toi, mon adoré, parce que, m’occupant de mon ménage comme je le fais, je ne peux pas passer ma journée sans me peigner et me débarbouiller comme il faut. Tu es trop propre pour ne pas comprendre ça, n’est-ce pas mon amour ? D’autre part je me couche fort avant dans la nuit, ce qui fait que je me lève tard et que je ne peux pas être prête, ne comptant pas sur toi, à une heure après midi. Je t’explique cela, mon adoré, pour que tu ne sois pas injuste ni ingrat envers moi en croyant que je pouvais faire autrement. Je t’aime mon Toto, je t’aime mon petit homme.

Juliette

Je viens d’écrire à Mme Lanvin et à Claire, tu verras les lettres avant qu’on ne les porte à la poste.

BnF, Mss, NAF 16344, f. 37-38
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « trouve ».
b) « soit ».

Notes

[1Suite à son élection à l’Académie française le 8 janvier, Victor Hugo, pour reprendre les mots de Jean-Marc Hovasse, « devient rapidement la coqueluche des dîners parisiens : on l’invite partout […] » (Victor Hugo, ouvrage cité, p. 827).

[2Depuis leur « mariage d’amour » de 1839, Juliette a renoncé à sa carrière d’actrice et a reçu en contrepartie l’assurance, de la part de Victor Hugo, qu’il ne l’abandonnerait jamais et subviendrait à tous ses besoins financiers. En 1841, elle vit encore très mal cette situation.

[3En juillet 1840, des daguerréotypes de Juliette et Hugo ont été pris : « 18 juillet [1840], samedi soir, 6 h. ¾ / Je suis consternée, mon adoré, du résultat du daguerréotype à mon endroit. Je suis démoralisée, mais sérieusement, car ce n’est pas ma coquetterie, encore moins mon amour-propre que cela blesse, mais ma confiance dans ton amour que cela tue. Je suis courbaturée et malade, je voudrais mourir. Si je n’avais pas ma pauvre fille je crois que je devancerais le moment donné, tant j’ai honte de moi et tant j’ai peur de survivre une seconde à ton amour éteint. C’est vraiment du désespoir que j’éprouve. Vraiment je suis un monstre de laideur. Quels affreux portraits, y compris le bien réussi. Et je ne peux pas me faire d’illusion car les tiens, quoique moins beaux que toi, sont charmants. Ainsi c’est bien moi, moi qui suis laide et atroce. C’est bien triste, mon Dieu, car dans mon âme je suis belle. C’est la première fois que ce vers me frappe comme un des plus vrais et des plus poignants de la douleur [de] ce pauvre monstre que tu as créé. Si tu as pitié de moi et si tu tiens à ton amour et à ma vie, tu effaceras toutes ces hideuses images qui me multiplient et doublent pour ainsi dire ma vilaine carcasse. Je t’en prierai tant qu’il faudra bien que tu y consentes. En attendant, je te crois parti à Saint-Prix. J’ai la tête en feu et je me tuerais avec volupté tant je souffre du corps et de l’âme. Je t’aime trop, c’est ce qui me rend si laide. Juliette » (Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo 1833-1882, par Evelyne Blewer, Paris, HAR PO., 1985, page 47).

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