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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 mars 1841

4 mars [1841], jeudi, midi ¾

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon amour adoré. Comment vas-tu mon cher petit homme ce matin ? Je n’ose pas te demander comment tu as passé le reste de la nuit, mon pauvre bien-aimé, car je le sais trop bien. Moi je n’ai jamais eu plus mal à la tête ; voilà trois jours que je m’en plains mais vraiment cette nuit c’était trop fort, j’ai cru que je ne pourrais pas me lever [1]. Enfin cela va mieux pourtant, j’y vois presque clair et je peux avaler ma salive, chose assez difficile pour moi toute la nuit tant j’avais lesa amygdalesb enflées. Dieu merci. Ma lettre n’est qu’un bulletin absurde de ma santé, comme si c’était vraiment une chose bien intéressante que mes maux non imaginaires.
Voici quelque chose de plus drôle : l’épicier est venu ce matin, la note se montait à 41 F. 9 sous sur lesquels compris les 6 F. de cette nuit. J’ai donné 21 acompte, la bonne a parfait le reste mais il paraît que sans le 6 F. d’appoint elle aurait été trop à court. Ce qui prouve qu’un peu d’aide fait grand bien. Voime, voime, pauvre chéri. Personne ne t’aide toi, tu as le fardeau à toi tout seul, pauvre bien-aimé, et tu ne te plains jamais et tu ne te lassesc jamais, pauvre ange bien-aimé. Je sens bien tout cela va, avec le cœur et l’âme, et je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 205-206
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « le ».
b) « amigdales ».
c) « lasse ».


4 mars [1841], jeudi soir, 6 h. ½

C’est vraiment une mystification que vos visites, mon cher freluquet, à peine si vous prenez le temps d’entrer et de me montrer vos beaux habits et vous êtes déjà parti. Ce genre est loin de m’amuser, quoiqu’il soit déjà très vieux, et je vous prierai d’en changer si vous ne voulez pas que je vous SANGE [2]. Ceci est très sérieux, je ne suis pas d’humeur à rester plus longtemps de planton [3] pour un Toto qui va se pavaner tout le long des boulevards au soleil et aux yeux des cocottes qui font comme lui. Arrangez-vous là-dessus mais je ne veux plus rester en Cendrillon toute seule chez moi. C’est fini, je ne le veux plus, je ne le veux plus et vous savez que ce que femme veut Dieu le veut. Vous n’avez pas le droit d’être plus entêté que lui. Je vous dis que vous êtes une bête et baisez-moi.
On va vous faire des caleçonsa tout pareils aux vôtres, plus jolis, plus solides et plus de la moitié moins chersb. La chose en vaut la peine, n’est-ce pas ? Je vais faire tremper la toile ce soir à l’eau bouillante afin qu’elle fasse tout son effet. [4] Si vous n’étiez pas venu au moment où je concluais mon marché, vous ne m’auriez pas fait perdre 10 sous que cette Penaillon m’a retenusc à cause de votre belle mine, de vos beaux habits et de vos grands airs (pas d’opéra comique). Vous serez cause de ma ruine en vérité, en vérité je vous le dis.
Je vais commencer à copier tout à l’heure. Tâchez de venir bien vite, mon cher petit faquin.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 207-208
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « calçons ».
b) « cher ».
c) « retenu ».

Notes

[1Dans sa lettre de la veille, Juliette s’est plainte de la fumée qui envahit son « taudis » et qui l’asphyxie, ce qui n’arrange pas son état.

[2Déformation volontaire pour « change ».

[3Expression militaire : service de soldat auprès d’un officier.

[4Cela fait quelques jours déjà que Juliette s’occupe de cette affaire (voir notamment la lettre du 2 mars au soir).

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