29 août [1836], lundi matin, 10 h. ½
Voilà déjà longtemps que je suis levée mais je voulais avant de t’écrire, mon cher bien-aimé, voir la robe future de Didine. Voici ce que j’ai constaté au grand jour : c’est qu’il n’y avait que de quoi juste faire la robe en supposant que plusieurs taches que je n’avais pas vuesa d’abord puissentb s’enlever, ce que je crois. Mais il faudra la porter aujourd’hui même chez Turlot [1]. Du reste je persiste à croire que si on peut la faire cela lui fera une très gentille petite robe.
J’ai reçu une lettre de la maîtresse de pension qui me mande que c’est pour mercredi à 11 h. du matin [2]. C’est un peu tôt, mais nous en serons plus vite débarrassésc.
Pauvre petit Toto j’ai été bien grognon ce matin mais j’avais un mal de tête si féroce que je ne pouvais pas me retenir, mais cela ne fait que te faire aimer davantage. Je suis comme le cheval quand il bronche puis reprend un temps de galop pour réparer sa sottise et éviter le coup de fouet. Moi quand je bronche je me reprends à t’aimer plus encore pour me faire pardonner mes grognasseries.
Il fait bien beau aujourd’hui mon chéri, j’espère que vous ne comptiez pour cela aller à Fourqueux [3]. Vous savez que nous avons Nanteuil pour ce soir.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16327, f. 274-275
Transcription de Nicole Savy
a) « vu ».
b) « puisse ».
c) « débarrassées ».
29 août [1836], lundi soir, 7 h.
Mon cher petit menteur, que je vous aime et que je vous désire, vous n’en êtes pas moins à Fourqueux. Je suis trop juste pour ne pas comprendre qu’il faut que vous alliez dans votre famille, mais pourquoi ne faites-vous pas coïncider vos absences avec les quelques visites que je reçois de deux ou trois pauvres femmes mes amies ? De cette façon il n’y aurait pas un double emploi de bonheur et de consolation et j’aurais quelqu’un à qui parler de vous, ce qui m’empêcherait de sentir avec autant d’amertume le vide de votre absence.
Je crois même que vous avez prié N. de contremander notre invasion chez lui. Si c’était vrai, vous seriez plus que coupable, vous seriez cruel. Car je comptais sur le portrait [4] pour me faire prendre en patience le mal d’attendre, que vous ne connaissez pas vous parce que vous venez quand bon vous semble et que vous vous en allez de même. Mais moi, c’est différent, je souffre de véritables tortures, il y a même des moments où je trouve que tout serait préférable à cela : ATTENDRE.
Cependant que je vous aime, que je vous trouve le plus grand et le plus noble des hommes, que je t’aime.
Je viens de lire deux numéros du Monde dramatique. Outre la niaise collaboration du vieux flonflonneur Brazier [5], j’y vois [poindre ?] l’arc-en-ciel de la rage jalouse et impuissante du Courrier des théâtres, ce qui m’explique le retard et l’hésitation de l’envoi des susdits numéros. Peut-être me trompé-jea mais dans tous les cas c’est trop bête et trop plat pour y essuyerb même le talon de ta botte.
À bientôt, pense à moi autant que je t’aime et tu seras bien vite auprès de moi [6].
BnF, Mss, NAF 16327, f. 276-277
Transcription de Nicole Savy
a) « trompai-je ».
b) « essuier », graphie d’époque.