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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 octobre [1837], vendredi midi ¾

Mon cher petit homme, je ne sais pas à quel propos vous me faites une cachoterie de l’absence de votre femme. Vous avez sans doute une raison pour cela. Je suis fâchée que malgré mon respect pour votre volonté j’aie découvert ce fait. Je ne l’ai appris de personne ni demandé à personne. Je l’ai deviné voilà tout. Maintenant je ferai semblant de l’ignorer puisque vous paraissez le vouloir. Jour mon petit o. Jour mon gros To. Je t’aime plus que jamais. Soupes-tu avec moi ? ou vas-tu à la campagne aujourd’hui ? Voilà encore ce que tu te feras un scrupule de me dire. Dans tous les cas tu auras une tasse de bouillon froid et du bouilli [1] aux pommes de terre. C’est assez pour un homme aussi discret que toi. Hier j’ai été privée de t’écrire par la présence de ce stupide D [2]. Aujourd’hui je prends ma revanche comme tu vois. Je t’écris sur mon plus grand papier avec ma meilleure plume et de mon plus beau STYLE PHAME !
Il me semble qu’il fait en ce moment un bien beau temps pour faire notre petite excursion dans la vallée de Bièvre. Si vous n’en profitez pas, le froid et la pluie nous en empêcheront bientôt et alors nous regretterons inutilement de n’avoir pas profité de ces derniers beaux jours. Je vous aime mon petit Toto chéri. C’est bien vrai et bien doux en même temps. Je voudrais que vous m’aimassiez sinona autant, du moins la moitié et je serais bien fière, bien tranquille et bien heureuse. M’aimes-tu, dis ?
Je suis sûre que tu n’as plus à faire dans ce moment-ci. Si je ne craignais pas de te contrarier, j’irais m’en assurer seulement pour savoir si mon pressentiment magnétique ne me trompe pas. Mais avant de satisfaire ma curiosité je préfère ne pas vous déplaire. Je reste donc chez moi, attendant qu’il vous plaise de venir me baiser sur le front, et de me faire un tas de menteries de l’air le plus candide du monde. Je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 291-292
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « si non ».


20 octobre [1837], vendredi soir, 6 h. ⅓

Cher petit homme adoré, vous étiez bien beau ce soir, pour un simple vagabond que vous aviez la prétention d’être. Prenez garde que je n’envoie MON MAGNÉTISME en quête de vous et de vos actions. Vous savez que rien n’est plus infaillible. Aussi je m’en rapporterai à tout ce qu’il aura vu ou entendu. Je vous le répète, prenez garde. Ma vengeance serait terrible d’abord. Rita [3] à la [dessina] ne serait qu’un mouton du Berri en comparaison de moi.
Je ne me suis pas encore débarbouillée. Je vis dans ma crasse et dans MA LIBERTÉ, ce qui fait de moi la plus hideuse chrétienne qui soit sous le soleil. Je n’en ai que plus la prétention d’être aimée et adorée, pourquoi pas ? La croûte de crasse dont je suis enduite ne doit pas être un obstacle aussi pointu [dessinb ?] que l’est le vôtre.
J’ai beaucoup de peine à comprendre toute la portée de mes fines plaisanteries mais je ne doute pas qu’elles ne soient des plus salées qu’il y ait.
Jour mon To, jour mon gros to. Je vous organise un petit souper à tout événement et si vous ne venez pas le manger je serai plus furieuse que la lionne du désert après six semaines de ventre creux. Quand je vous dis que j’ai beaucoup d’esprit, je crois que je ne me flatte pas et la phrase au-dessus n’en laisse aucun doute. Je t’aime mon cher petit homme. Si ce n’est pas nouveau c’est du moins bien vrai et bien senti. Je t’aime. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 293-294
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) Il est difficile de déterminer ce que représente le dessin fourni par Juliette. Il pourrait s’agir d’une sorte de houppe, ce qui fournirait un jeu de mots entre Rita et Riquet à la houppe.

© Bibliothèque Nationale de France

b) Après le mot « pointu », Juliette semble avoir inséré un signe représentant une pointe.

© Bibliothèque Nationale de France

Notes

[1Substantif masculin synonyme de « viande bouillie ».

[2Il peut s’agir de Démousseau. Juliette n’aime pas les hommes de loi.

[3Allusion au personnage de Rita l’Espagnole dans le drame homonyme en quatre actes par MM. Desnoyer, Bouté et Chabot de Bouin, représenté pour la première fois le 17 octobre 1837 au Théâtre de la Porte-Saint-Martin. La pièce est une adaptation du roman La Vigie de Koat-Ven (1833) d’Eugène Sue. Trompée par son amant, l’héroïne élabore une vengeance atroce contre lui, vengeance qui échoue cependant.

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