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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 janvier [1840], vendredi après-midi, 1 h. ¼

On est au Mont-de-Piété, mon Toto, c’est M. Félix qui est venu, Mme Lanvin étant très malade et son mari à sa journée. M. Pradier n’a pas encore payé et ne sait pas quand il donnera l’argent, il en attend, dit-il, et il ne veut pas qu’on le tourmente, aussitôt qu’il en aura il paiera. Voilà les nouvelles du dehors, joins-y celles du théâtre de la Renaissance qui ne sont rien moins que bonnes du moins d’après les Lanvin. J’ai nettoyéa moi-même vos jolis petits souliers tout à l’heure, je désire que vous les mettiez le moins souvent possible car c’est sur mon cœur que vous marchez chaque fois que vous les mettez. J’espère, mon bon petit homme, que tu n’auras pas été malade cette nuit. Cette espèce de question donnéeb tout de suite après ton souper a bien pu te faire du mal surtout ayant mangé toutes choses lourdes et indigestes. J’ai bien pensé à cela et je suis encore très tourmentée, mon amour, tu serais bien gentil si tu venais très tôt. Je regrette que ce Manière doive venir ce soir car je t’aurais prié de me faire sortir un peu n’importe . J’ai un mal de tête ignoble. Un de ces jours je resterai sur la place, le mal de tête sera plus fort que moi. Voici M. Félix, le renouvellement monte à 92 F. 5 sous, j’ai donné les 15 sous d’appoint ce qui fait 93 F. Il reviendra dès demain en huit pour les deux autres parce que le 2 se trouve le dimanche par conséquent il faut renouveler samedi le 1er. Voici aussi la carte de mon EX médecin qui tient à me faire savoir qu’il n’est pas mort. Et puis je t’aime et puis je t’adore. Viens vite mon adoré me donner un peu de courage et de joie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 88-89
Transcription de Chantal Brière

a) « netoyé ».
b) « donné ».


24 janvier [1840], vendredi soir, 5 h.

Voici encore une belle journée passée sans profit pour moi ni pour le corps ni pour le cœur. J’ai un mal de tête à mourir. J’ai une tristesse et un besoin de toi insurmontable. Je donnerais ma vie pour une épingle tant je la trouve insupportable : attendre toujours un bonheur qui ne vient pas, c’est un supplicea affreux et que je ne souhaiterais pas à ma plus mortelle ennemie. Enfin c’est comme ça : ni courage, ni patience, ni découragement, ni désespoir, ni amour n’y font rien. Je suis seule, toujours seule, prenant l’air une fois tous les quinze jours quand la pluie, le brouillard et le froid veulent bien me faire les honneurs de la sortie. Dieu sait si je me plains que je souffre aussi plus qu’il n’est permis de souffrir. Je me retiens de pleurer pour ne pas t’occuper car je n’ai même pas cette satisfaction de pouvoir pleurer à mon aise quand le cœur me crève d’ennui et de chagrin. C’est ce soir que vient le Manière, je voudrais que tu fussesb là pour lui parler car moi j’ai si mal à la tête et je suis si maussade que j’aurai toutes les peines du monde à desserrerc les dents.
Je t’aime Toto. Je sais tout ce que tu fais pour moi, mais mon cœur souffre de ne pas te voir. J’ai besoin de toi, mon adoré, pour être heureuse et pour vivre ; hors de ta présence je souffre, je suis folle, je voudrais mourir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 90-91
Transcription de Chantal Brière

a) « suplice ».
b) « fusse ».
c) « dessérer ».

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