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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 janvier [1840], dimanche, midi ¾

Bonjour cher bien-aimé de mon âme. Vous avez donc encore supprimé mon dimanche ? Je n’avais que ce seul jour-là d’assuré dans toute la semaine, et depuis que j’ai eu le malheur de vous le dire vous me l’avez ôté comme par méchanceté. En vérité ça n’est pas gentil surtout si vous ne vous dépêchez pas de me le rendre dans le jour le plus prochain. Je ne tiens pas à ce que ce soit samedi plutôt que dimanche, lundi plutôt que mardi, je tiens à vous voir le plus possible, jour et nuit, tout m’est bon. Vous voyez, mon Toto, que cette latitude (qui n’est pas une platitude) rend encore plus coupable votre négligence. Je vous préviens que si dans les 24 heures vous ne m’avez pas rabibochée de toute ma semaine, je me fâcherai tout rouge. Nous sommes de fameux filous, tout de même, d’avoir pris tous les bonbons de ces pauvres enfants. Il est bientôt temps de s’en apercevoira n’est-ce pas ? Mais hier pendant que je dévalisais le gros poussah de sac, j’avais la conscience de ma mauvaise action et peu s’en est fallu que je ne réintégrasse tous les bonbons dans leur enveloppe de papier vert. J’aurais mieux fait que de m’exposer aux remords tardifs et infructueux d’avoir dévalisé de pauvres enfants INNOCENTS et AVIDES DE DOUCEURS. Un autre foisb j’écouterai mieux la voix de la conscience et je volerai moins de pastilles de chocolat et de marrons glacés.
Baisez-moi, vieux vilain, pourquoi que vous n’êtes pas venu ce matin ? Je suis furieuse.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 46-47
Transcription de Chantal Brière

a) « apercevoir ».
b) « autrefois ».


12 janvier [1840], dimanche soir, 4 h.

J’avais oublié, mon cher petit homme, que c’était aujourd’hui que les Mignon viendraient chercher leursa 10 F., ils sont venus avec la plus édifiante exactitude. J’ai été obligée de prendre 5 F. à la bonne pour faire leur compte. Tu vois, mon pauvre adoré, que sans rien faire d’extraordinaire je n’ai pas pu rien conserver pour le terme des 60 F. que tu m’as donnés. Tu sais que je n’ai pas fait une seule mauvaise dépense si ce n’est le charmant petit couteau que tu m’as donné hier. Du reste j’ai mis toute l’économie possible dans mon intérieur et je n’ai dépensé que 12 sous la dernière fois que je suis allée chez Mme Pierceau Je te donne tous ces détails, mon adoré, pour que tu voies bien que si l’argent se dépense vite dans ma maison ce n’est pas tout à fait ma faute mais bien celle de mes dettes qui reviennent tous les mois plus exigeantes et plus impérieuses que jamais. J’ai peur, mon adoré, que ça ne finisse à la longue par te lasser et par user ton amour. Aussi je suis triste et tourmentée dans le fond du cœur et peu s’en faut que je ne regrette d’avoir accepté ton dévouement à mon mauvais passé ou à mon difficile avenir comme tu voudras puisque l’un est la conséquence de l’autre [1]. Tu sais, mon pauvre petit homme, que dans cette acceptation tu as été pour plus du tout et que si je n’avais pas cru t’affliger dans le moment j’aurais eu le courage de te refuser ? Ne l’oubliea pas si jamais tu viens à le regretter. Je t’aime mon Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 48-49
Transcription de Chantal Brière

a) « l’oublies ».

Notes

[1Hugo s’est engagé à assurer la vie matérielle de Juliette et de sa fille et à honorer ses dettes.

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