Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1849 > Mai > 6

6 mai 1849

6 mai [1849], dimanche matin, 7 h.

Bonjour, mon très adoré petit Toto, bonjour, mon bon amour, bonjour. Je te baise entre cuir et chair pour tâcher d’arriver plus près de ton cœur. Je ne sais pas ce que tu me réservesa pour aujourd’hui, mais je sais que je t’aime avec un redoublement de cœur pour le bonheur que tu m’as donné avant-hier et hier. Je crains que la part ne soit pas aussi belle aujourd’hui à cause de ta présidence [1], aussi j’ai l’oreille basse et l’âme comme le temps, c’est-à-dire incertaine et assez maussade. Cependant je ne désespère pas encore, au contraire. C’est une vieille habitude prise chez moi d’espérer et c’est en m’appuyant sur l’espérance que je parviens à traverser bien des jours moroses et tristes, bien des moments de découragement et bien des phases douloureuses de ma vie. Jour Toto. Jour mon cher petit o. Je vous aime et j’espère, et vous ? Vous, vous espérez que je vous donnerai quelques bonnes gobloteries et des bons GROGS bien serrés, voilà ce que vous espérez vilain goinfre et vous n’en rougissez pas. Où allons-nous ? où allons-nous ? Encore si c’était dans quelque bon pays où le bonheur vous tombe tout rôti dans le bec ce ne serait qu’heur et plaisir. Mais ce n’est que la République qui foisonne jusqu’à présent dans ce beau pays de France, régal médiocre à mon goût et auquel je renonce tant qu’on voudra. Fichtre, il me semble que je me laisse aller à la politique et sans le moindre cautionnement, imprudence immense et dont je vous demande humblement pardon.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 117-118
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « réserve ».


6 mai [1849], dimanche, midi ½

J’ai oublié de te demander à quelle heure tu présidais ta fameuse commission aujourd’hui ? De sorte que je ne sais pas sur quellea heure je dois fonder plus ou moins l’espérance de te voir. Quoi qu’il en soit, mon amour, je t’espère comme je te désire, comme je t’aime, c’est-à-dire toujours. Et mon H [2] ? Il me semble que vous abusez un peu de l’alphabet en général et de la lettre H en particulier pour me faire voir le TOUR qui n’est pas le bon tour et qui finira par vous en jouer un très mauvais à vous-même si vous n’y prenez garde. En attendant je suis comme un pauvre chien galeux qu’on laisse à toutes les portes sans jamais le faire entrer. Il est vrai que vous m’avez menéeb dans une île [3] il y a deux jours et même à l’île d’amour mais nous avons traversé la rivière sans bateau et sans nacelle et l’île d’amour dans…… ce qui en fait le principal ornement. Cependant je ne me plains pas, mieux vaut une matelotec d’anguille et de barbillon que rien du tout. C’est mon opinion, et vous ? mais quand te verrai-je ? Ceci est la question principale pour le moment. Je voudrais qu’elle fût résolue tout de suite par un bon : me voilà  ! poussé à pleins poumons par votre auguste poitrine. Tâchez que mon vœu soit exaucé bien vite et pensez à moi, mon cher petit futur dégommé. De mon côté je vous attends et je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 119-120
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « qu’elle ».
b) « mener ».
c) « matelotte ».

Notes

[1Ce jour-là, Victor Hugo dirige l’Assemblée générale de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, dont il est le président depuis le 7 mai 1848. Durant cette séance, qui marque la fin de son mandat, Ferdinand de Villeneuve, trésorier, déclare avoir trouvé en Victor Hugo un digne défenseur « toujours prêt quand il s’agit de combattre des lois de censure ou de plaider en faveur des auteurs ».

[2Les invitations aux séances de l’Assemblée dont bénéficient les députés sont rationnées en fonction de l’ordre alphabétique.

[3Il s’agit certainement de l’île Saint-Denis dont parle Juliette Drouet dans la lettre du 24 mai 1849.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne