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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 septembre [1837], lundi, midi ¾

Je m’aperçois, mon pauvre adoré, que tu as oublié tes yeux bleus [1]. Si je savais où tu es je courrais te les apporter pour t’empêcher de souffrir un petit moment. Depuis que vous êtes parti j’ai habillé Claire. Je viens de l’envoyer chercher une paire de gants chez Mme Lambin avec Suzette. Elle n’en avait pas. J’ai cru devoir lui faire cette petite avance. Je vous aime mon Toto, vous pouvez en juger à la dimension de mon papier [2]. Sans compter que je vais en emporter un cahier chez Mme Pierceau pour pouvoir vous barbouiller de l’amour à mon aise. Vous pouvez venir à présent quoique je ne sois pas prête. Vous assisterez à la toilette de VÉNUS [3], c’est ça qui sera JOLI [4]. Pauvre troubadour, vous avez un fameux rhume. Je voudrais bien pouvoir vous l’ôter en vous le prenant mais je crois que je vous l’ai pris en vous le laissant. J’éternue avec enthousiasme, atchi, atchi. Je vais be boucher le ndez, c’est drôle comme je benrhube [5]. Jour mon petit o. Jour mon gros to. Que je vous aime. Oui je vous aime, allez. Je ne vous demande que la moitié de mon amour et je me trouverais très aimée ainsi. Vous voyez si je vous aime. Je vous aime mon cher adoré, c’est bien vrai. Et tu le sais bien, n’est-ce pas mon grand Toto ?
Si tu étais bien gentil, tu m’écrirais une toute petite lettre pour que j’aie quelque chose de toi à baiser et à songer. Mes autres lettres adorables n’ont plus que l’âme, si bien que je n’ose plus les toucher que du bout des lèvres, tandis que si j’en avais une neuve je me livrerais dessus [àc] tous les emportements de ma passion. Veux-tu, dis, m’en écrire une ? Je t’en donnerai autant que tu voudras pour cette petite-là.
Je t’aime trop moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 178-179
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « apperçois ».
b) « courerais ».
c) Juliette a écrit « et » par erreur : la bonne lecture de la syntaxe exige le remplacement de la conjonction par la préposition.


18 septembre [1837], lundi, 1 h.

OH ! QUEL BONHEUR !! Justement à souhait, je trouve une petite lettre adorée de toi. Oh ! que c’est bon ! Oh ! que c’est doux ! Oh ! que je la baise ! Oh ! quelle ravissante surprise ! Et moi qui restais là à faire des prières pour obtenir ce trésor que je possédais déjà. Mon Dieu ça fait joliment du bien par où ça passe, c’est-à-dire par les yeux, par les lèvres et par le cœur. Mon Dieu, mon Dieu, que tu as été bien inspiré, mon Toto. Depuis le jour où nous sommes partis de Paris, je n’avais pas éprouvé une joie aussi vive. Merci mercia, tu es mon pauvre adoré. Je t’aime, oui je t’aime tous les jours plus car tous les jours sont autant de feuilles à ajouter à notre arbre d’amour. Mais que tu es donc bon de m’avoir devinée. Mercia mon pauvre amour. Mercia. Jamais je n’oublierai ce petit miracle car c’enb est un vraiment pour moi. En tout 24 mots y compris la date et l’initiale [6], c’est-à-dire 24 millions de baisers pour chacun d’eux et encore je n’aurai pas épuisé la somme de bonheur que tu viens de me donner. Oh ! je t’aime !

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 180-181
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
[Souchon]

a) « mercie ».
b) « s’en ».


18 septembre [1837], lundi, 1 h. ¼

Je n’ai plus que cela de papier. C’est fort heureux car je t’écrirais sans m’arrêter et sans penser à rien qu’à mon amour, et tes pauvres yeux, où en seraient-ils de ce débordement d’amour ? Mais que je suis donc joyeuse. Quel bonheur. Quel BONHEURa ! Tu es bien heureux de n’être pas là. Je t’aurais caressé, tripoté et étouffé de caresses. Je t’aime, va. Je vais être GEAIE toute la journée grâce à mes 24 chers petits mots.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 182
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) Ce mot couvre à lui seul toute la ligne.


[18a] septembre [1837], lundi soir, 8 h. ¼

Vous voyez mon cher petit homme que je suis généreuse. Je vous donne autant de lettres que vous m’avez écrit de mots. Eh bien mon amour, c’est dans la même proportion avec le vôtre et je ne me plains pas. Cher cher adoré, je suis bien heureuse de ta bonne petite lettre chérie. Je l’ai baisée depuis que je suis ici mais je la baiserai encore bien plus ce soir. Je lui en promets des baisers. À moins que ta bouche ne soit là pour les recevoir, je ne lui ferai pas grâce d’un seul. C’est que je t’aime, vois-tu, bien plus que tout ce que tu peux imaginer et même désirer.
Je voudrais bien que tu viennes de bonne heure ce soir, nous marcherions, à la condition cependant que Mme Pierceau me prêtera une savateb quelconque car j’ai trop mal aux pieds pour remettre mes brodequins. J’ai appris que cette pauvre Mme Krafft était à la mort d’une maladie de femme [7]. Je t’avoue que cette triste nouvelle m’a beaucoup affligée, car cette pauvre Laure a toujours été pour moi une bonne amie. Tout cela me fait sentir que je t’aime plus que tout au monde et bien plus que la vie que je ne comprends que depuis que je t’aime. Aime-moi toujours mon cher adoré. Aime-moi si tu veux que je vive et surtout aime-moi pour que je sois heureuse comme aujourd’hui. Oh ! bon Dieu, je m’aperçoisc que c’est la bougie de Mme Pierceau qui brûle pendant que je t’écris, ce qui n’est pas une économie. Il n’est permis de consumer chez les autres que son cœur, ce qui n’est pas dispendieux. Allons, je vais me dépêcher pour ne pas abuser vraiment de l’hospitalité de cette bonne et si charmante femme. Vous coucherez avec moi ce soir, je l’espère. Aussi QUEL BONHEUR. J’aurai bien soin de toi mon petit o. Je te graisserai et te suiferai bien mon cher petit homme. Je te couvrirai bien mon pauvre amoureux, de baisers d’abord et de couvertures de laine ensuite. Je serai bien bonne et bien douce. Je ne grognerai pas et je serai très heureuse.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 183-184
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) Juliette a par erreur indiqué la date du 14 que nous corrigeons.
b) « savatte ».
c) « apperçois ».

Notes

[1Lunettes aux verres teintés que Victor Hugo porte pour se protéger les yeux.

[2Juliette écrit effectivement sur grandes feuilles, ce qui ne lui arrive que rarement à cette époque-là.

[3En référence au motif bien connu des nombreuses Toilette de Vénus exécutées par les artistes de toutes les époques, notamment dans le domaine de la peinture.

[4La mise en relief de l’adjectif en capitales marque un jeu de mots sous forme d’allusion à Anténor Joly : le projet d’un « Second Théâtre-Français », dans lequel Victor Hugo, Dumas père et Casimir Delavigne sont impliqués, est encore en pourparlers.

[5Déformations orthographiques censées imiter la prononciation avec le nez bouché de la phrase « je vais me moucher le nez, c’est drôle comme je m’enrhume ».

[6Les voici : « Je t’aime plus que jamais, ma Juju. Tu es tous les jours plus charmante et moi tous les jours plus amoureux./ V./ 18 septembre. » (édition citée de Jean Gaudon, p. 96).

[7Fausse alerte : Laure Krafft ne décédera qu’en 1874.

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