9 mars 1861

Guernesey, 9 mars 1861, samedi matin, 8 h.

Bonjour, mon grand bien-aimé, bonjour, mon ineffable adoré, bonjour, je t’aime, je t’admire, je te bénis.
J’ai peur que l’incident Engelson ne t’ait agité et empêché de dormir et que tu n’aies trop fatigué ta gorge en voulant extraire de cette pauvre femme sa pensée trop peu distincte pour toi et peut-être pour elle-même. S’il en était ainsi, je regretterais beaucoup sa visite et je la redouterais encore à l’avenir si elle devait te causer le moindre ennui ou la plus petite fatigue, car ce qu’il te faut, en ce moment, c’est de la diversion agréable et tranquille. J’espère que cette brave dame le comprendra et qu’elle ne recommencera pas ce triste jeu de rébus funéraire d’hier au soir. Du reste, si j’étais à ta place, je ne me prêterais pas avec tant de complaisance aux exigences plus ou moins raisonnables de ce pauvre esprit toqué^a. Après cela, tu es meilleur juge que moi de ce que tu as à faire vis-à-vis de cette dame et ce que je t’en dis n’est qu’un point de vue égoïste d’épargner tes nuits et de ménager ta gorge que les discussions [illis.] agitent et irritent. Maintenant que j’ai dit ce que je pense, mon cher petit homme, je te prie d’avoir bien soin de toi, tout en conservant tous les égards possibles vis-à-vis de cette personne, très intéressante sans doute, mais enfin que nous connaissons peu. Pardonne-moi mon égoïsme, mon cher adoré, et laisse-moi avec férocité car je ne peux pas t’aimer autrement. Je t’aime comme un chien qui défend son maître.

BnF, Mss, NAF 16382, f. 67
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Florence Naugrette

a) « tocqué ».