24 mars 1863

Guernesey, 24 mars [18]63, mardi, 1 h. ¾ après midi

Quand on prend du beau papier blanc, on n’en saurait trop prendre, c’est l’avis de ma restitus qui prétend se pavaner dessus tous les jours. Quoi, tous les jours ? Tous les jours. Pas tous les jours ? Tous les jours. Tous les jours ? Tous les jours. Oh ! tous les jours ! TOUS LES JOURS… jusqu’à faire le tour du globe un peu TOUS LES JOURS. Tant pis si ça vous embête moi je m’en goberge à preuve que mes pattes de mouche galopent^a là dessus comme si elles ignoraient la goutte, les rhumatismes et autres podagreries aussi [folâtres ?]. J’espère que mes pauvres jambes prendront aussi le mors^b aux dents à leur exemple ne fût-ce^c que pour distancer les huit siècles aux genoux du saint précis [sous ?]. En attendant je regarde le brouillard qui poudroie et mes trois arbres qui verdoient et je me demande avec impatience quand je pourrai jouir du printemps et de la promenade autrement qu’à travers ma fenêtre et dans les deux pieds carrés de terre de mon jardin. Je sais, mon pauvre adoré, que ce n’est pas de ta faute si je ne sors pas davantage mais je n’en suis que plus triste car il n’y a pas de raison pour [que] mes bobos finissent et alors qu’est-ce que je deviendrai ? C’est-à-dire qu’est-ce que nous deviendrons si je ne peux plus bouger de place ? Je n’y veux pas penser pour ne pas t’affliger d’avance. Je ne veux penser qu’à la joie de t’avoir ce soir. Jusque là je te souris.

BnF, Mss, NAF, 16384, f. 78
Transcription de Chantal Brière

a) « galoppent ».
b) « le mord ».
c) « ne fusse ».