21 mars 1849

21 mars [1849], mercredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon doux adoré, bonjour jusqu’à ce soir, hélas ! puisque je ne pourrai pas te parler avant. Je crains même de ne pas te voir beaucoup plus tôt parce qu’il est probable que tu ne viendras pas à la séance de bonne heure ? Il me semble, et même j’en suis sûre, qu’il n’y a pas plus de quinze jours que tu as eu tes deux billets, puisque c’était le même mardi de l’Académie pendant que je faisais le pied de grue à t’attendre et que tu me faisais un pied de cochon avec Cousin, ce qui est cause peut-être que j’aurai un pied de nez aujourd’hui, pendant que tu seras aux pieds de quelques pattes fauves. J’ai bien envie de ne pas aller vous attendre à cette susdite assemblée et d’aller voir plutôt où vous êtes si j’y suis. Toujours est-il que vous aurez à me rendre compte de ce fameux phénomène qui avance votre tour de dix jours. Je sais bien que le printemps est précoce. Il paraît que les cornes le sont aussi. Cette luxuriante végétation est de toutes les saisons, absolument comme l’amour, seulement elle n’est pas tout à fait aussi agréable. Toto, Toto, Toto, Toto, iiiiiiiii !!!!!!!!!^a Prenez garde à vous, les Jujus ne sont pas ce qu’un vain peuple pense [1], je vous en préviens. Méfiez-vous et comptez mieux vos jours une autre fois si vous tenez aux vôtres.

Juliette

MVHP, MS a8165
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) Les neuf « i » et les neuf points de suspension courent jusqu’au bout de la ligne.

21 mars [1849], mercredi matin, 11 h.

Je me tâte^a pour savoir si je dois aller bêtement à cette Assemblée pendant que je vous laisserai faire vos farces en liberté à Paris. Je n’ai encore rien résolu, mais il me semble que je n’irai pas et que je vous surprendrai dans quelque flagrant délit dont vos droits électoraux sortiront fort^b malades. En attendant, je VEILLE sur vous et sur vos droits politiques auxquels^c je tiens autant qu’à votre vie. Je suis pleine de sollicitude pour votre mandat de représentant de quatre-vingt-sept mille hommes [2]. Je le garde à vue dans votre personne. La chair est faible et les représentants ne sont pas forts, tout cela m’oblige à veiller l’arme au bras. Ah ! mon Toto, vous ne savez pas mieux vos dates que ça ! Ah ! brigand de Toto, vous m’en donnez à garder, des dates, tantôt le règlement est pour 24 jours, tantôt il est pour quinze à votre choix, c’est-à-dire quand vous avez besoin de me coffrer dans cette absurde baraque en toile [3] où M. Marrast^d démontre les représentants sans être empaillé. Ah ! Il vous en cuira, allez, de m’avoir fait aller. Pour le moment je ne vous dis que ça, mais je garde le reste pour le bon moment, qui ne se fera pas attendre au train dont vous y allez. Vous avez compté sur mon pied boiteux pour m’échapper, mais la vengeance a des ailes et je suis la vengeance. Ah ! bigre ! ah ! mâtin ! ah ! fichtre ! ah ! nom d’un petit Toto, tu [dernière ligne illisible]

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 59-60
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « tate ».
b) « forts ».
c) « auquels ».
d) « Marast ».