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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 mars 1849

10 mars [1849], samedi matin, 8 h.

Bonjour, mon ravissant bien-aimé, bonjour, mon idéal petit goinfre, bonjour, quelle surprise, mon pauvre amour, de voir tout à l’heure en ouvrant ma fenêtre le terrain en face changéa en Sibérie. Je ne m’étonne plus qu’il faisait si froid hier. Maintenant, j’attribue à ce changement brusque de température la recrudescence de mon mal de pieds [1]. Il faut bien que je l’attribue à quelque chose car depuis hier j’en souffre plus que jamais, même dans le lit. Mais laissons de côté cette littérature de baromètre et de cul-de-jatte pour parler un peu de notre bâfrerieb d’hier. J’espère que ces pauvres gens ont fait des frais pour te fêter ? Aussi, ai-je été consternée quand tu es entré et que tu as énoncé ta réunion électorale pour 8 h ½. Outre mon propre déplaisir, je sentais la déception de ces pauvres gens et j’en souffrais on ne peut pas davantage. Heureusement qu’à force de bonté et de gaîté, tu as su faire passer la douleur sans trop nous faire crier. Et puis tu es revenu dès que tu as pu, mon cher amour, et bien que ce fût pour la GEULE, nous avons eu la même joie que si tu étais revenu seulement pour nous. Moi du moins j’étais aussi heureuse qu’au bon temps de TON premier amour. Quant à ce pauvre M. V. [2], outre sa timidité naturelle, qui redouble en ta présence, il est d’une médiocrité telle dans la conversation que, malgré tous tes généreux efforts, tu as dû laisser tomber la conversation à ton dernier pruneau et à ta dernière goutte d’eau sucrée. Je m’en suis bien aperçue et je t’ai remercié du fond du cœur de la cordiale bonté que tu avais misec pendant tout ce festin. Je t’aime plus que jamais.

Juliette

MVHP, MS a8159
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « changer ».
b) « baffrerie ».
c) « mise ».


10 mars [1849], samedi matin, 11 h.

Je suis encore dans mon lit, mon bien-aimé, pour économiser mon bois d’une part et reposer mes pieds de l’autre. Je voudrais me mettre en état de reprendre mes courses avec toi lundi. Aussi, je fais tout ce que je peux et je prends toutes les précautions pour ne pas irriter davantage mes stupides pieds. Si je [ne] parviens pas à les calmer et à les guérir, ce ne sera pas de ma faute et je ne saurai plus qu’y faire et que n’y pas faire car j’aurai essayé et usé tout. J’ai oublié de te faire baigner les yeux, ce qui m’a contrariée on ne peut pas davantage. Rien ne m’est plus désagréable que ces oublis-là surtout depuis que tu as si peu d’occasions de baigner tes pauvres yeux adorés. Enfin, je suis un être absurde, ce n’est pas de ma faute. Tout ce que je peux faire, c’est de m’en vouloir à la mort et c’est ce que je fais de tout mon cœur depuis hier au soir. Je ne te prie même pas de me demander pardon tant je suis furieuse. Mon Victor adoré, je vous aime jusqu’à me rendre responsable de tout ce qui vous arrive d’ennuyeuxa et de mal et pour y mieux réussir je me déteste de fond en comble. J’espère que tu n’iras pas à l’Assemblée avant de venir me voir ? Si tu faisais cela tu me ferais beaucoup de chagrin. Sais-tu, qu’en somme, je t’ai à peine vu hier. Si tu avais eu le sang, comme tu serais venu déjeuner avec moi ce matin. Autrefois, tu n’y aurais pas manqué, maintenant c’est tout le contraire. Tu ne manques jamais de manquer, c’est lâche. Baise-moi et tais-toi.

Juliette

MVHP, Ms, a8160
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « ennuieux ».

Notes

[1Juliette souffre d’une crise de goutte depuis quelques jours.

[2À identifier.

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