2 décembre 1858

Guernesey, 2 décembre 1858, jeudi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher adoré, bonjour de toute mon âme et de tout mon cœur, comment as-tu passé la nuit ? Comment va ta gorge et comment m’aimes-tu ? Trois petites questions qui m’intéressent plus qu’elles ne sont grosses. En attendant que tu y répondes, c’est à peine si j’y vois assez clair pour mettre un mot devant l’autre. On dirait que le bon Dieu pleure de toutes ses larmes le crime de Bonaparte, mais il ne faudrait rien moins qu’un nouveau déluge pour en effacer le souvenir de la mémoire des honnêtes gens. Jusque-là, ouvrons nos parapluies et fermons nos cœurs à la DOUCE PITIÉ, ah ! que je vous VOUEILLE demander grâce pour ce Boustrapa-ci et vous aurez affaire à moi ! Taisez-vous et faites-moi faire un beau dessus de table, cela vaudra bien mieux et je vous assourdirai de ma bénédiction et de ma reconnaissance. Si non, non de nom d’un petit Toto, je vous dirai que toute cette jovialité m’est inspirée par le retour de notre ravissant petit oiseau qui fait entendre pour la première fois ce matin son petit appel d’amour Victor ! Victor ! Victor ! Viens donc, viens donc, viens donc ! Ce petit cri si tendre et si gai sous ce ciel si triste et si maussade ressemble au doux et joyeux chant de mon âme que toutes les brumes de la vieillesse et les infirmités moroses ne peuvent faire taire : Victor ! Victor ! Victor ! Je t’aime ! Je t’aime ! Je t’aime ! Viens donc, viens donc, viens donc.

Bnf, Mss, NAF 16 379, f. 335
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette