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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 juillet [1837], vendredi après-midi, 1 h. ¼

Vous avez été témoin tout à l’heure, mon cher petit homme, des méfaits de votre chat. Depuis j’ai déjà consulté mon frotteur [1] sur le remède à employer pour raccommoder les membres de l’os RANGÉ [2]. Il a prétendu qu’il aurait fallu l’enduirea de cire afin de ne pas laisser échapper la sève par aucun endroit. Ma foi, le 1er pansement étant fait, je n’ai pas voulu recommencer au risque de le voir mourir entre mes bras. Je vous aime mon petit Toto, je vous aime mon amour. Aimez-moi autant que je vous aime et je n’en demande pas davantage. Vous voilà parti à présent. Dieu sait quand je vous reverrai. Je sais bien quand vous me quittez mais je ne sais jamais quand vous me reviendrez. J’ai déjà pardonné à votre chat. Il m’est impossible de garder une longue rancune à rien de ce qui vient de vous. C’est peut-être très méchant, n’est-ce pas, ce que je fais là ? Vous êtes bien capable de le dire et de me calomnier auprès de toutes les minettes de l’arrondissement. Je ne suis pourtant pas une Cocotte. Il fait une chaleur effroyable. On serait joliment bien dans le fameux bois de Bièvres [3], dans un petit endroit que je connais où les actions les plus mémorables et les plus héroïques de notre histoire se sont passées. Hélas !… il y a déjà bien longtemps de cela, et encore bien plus loin de ces hauts faits d’armes à ceux d’aujourd’hui : ainsi tout fuit, ainsi tout passe [4]Moi seule je suis fixe, immobile dans mes sentiments. Je vous aime toujours comme le premier jour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 113-114
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


a) « enduir ».


28 juillet [1837], vendredi soir, 10 h. ½

Vous voyez bien, cher petit homme, que vous êtes un Gascon [5] et que vous ne venez pas me chercher. Je deviendrai grosse comme vous si vous me laissez toujours au logis. Mon dîner s’est encore enrichi d’un convive. Lanvin est venu prendre sa femme. Nous n’avions pas fini de dîner. J’ai dû l’inviter et il a accepté. Maintenant que tout mon monde est parti, je vais rabâcher avec vous. Je vous aime, c’est pas nouveau. Je vous trouve très jeune, c’est absurde. Je vous trouve beau, c’est très bête. Et puis enfin je vous adore, ce qui est très juste, attendu que vous êtes mon cher petit Dieu que j’aime avec ferveur. Si j’osais vous dire comme je vous aime vous vous moqueriez de moi, aussi j’en cache plus de la moitié. Je t’aime. Allons, voilà que cela me revient encore. C’est un tic que j’ai, je ne suis pas une minute sans dire ce mot-là : je t’aime. Et quand je ne le dis pas je le pense. Soir pa, soir man. Mais venez donc mon petit homme. Venez que je baise vos belles joues roses et vos lèvres qui sentent la pêche. J’ai très besoin de vous baiser et d’être baisée, en tout bien tout honneur, s’entend.
Je peux-t-y me coucher ? Il est 11 h. tout à l’heure. Il me semble que je peux me risquer. Soir pa, soir man.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 111-112
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

Notes

[1« Frotteur » : l’ouvrier qui vient frotter les parquets.

[2Jeux de mots entre « os rongé » et « oranger ». Au mois de mai, Suzette avait offert à Juliette un oranger. Le chat en a semble-t-il arraché les branches.

[3Juliette se remémore probablement le mois de septembre 1834, durant lequel, avec Claire, elle était logée par Hugo dans le hameau de Metz près de Jouy-en-Josas, dans la vallée de la Bièvre, tandis que lui séjournait aux Roches près de Bièvres.

[4Sur le mode du tempus fugit, Juliette donne un écho aux derniers vers du poème « Les djinns », publié dans Les Orientales (« Tout fuit, / Tout passe ; / L’espace / Efface /Le bruit. »), en même temps qu’elle calque sa formule sur celle de Lamartine dans « Le golfe de Baya » des Méditations (« Ainsi tout change, ainsi tout passe ; / Ainsi nous-mêmes nous passons, / Hélas ! sans laisser plus de trace / Que cette barque où nous glissons / Sur cette mer où tout s’efface. »).

[5Ce sont les promesses non tenues qui valent souvent à Hugo ce titre sous la plume de Juliette.

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