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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 avril [1849], mercredi matin, 7 h.

Bonjour, mon tout bien aimé, bonjour, mon cher amour adoré, comment vas-tu ce matin ? Moi je vais bien et froid car la neige me fait rentrer la chaleur dans le ventre si bien que je n’en aia plus pour les onglées du dehors. Tout cela n’est rien si tu vas bien de ton côté et si tu m’aimes un peu, ce que j’espère, entre nous soit dit. Il me paraît difficile, pour ne pas dire impossible, que je t’aime avec cette continuité et cette passion sans que tu y répondes un peu. Je crois donc que tu m’aimes, mon amour, mais je n’ai pas la présomption de penser que tu n’aimes que moi, hélas ! Tantb s’en faut et il y a bien des moments tristes et amers où je crois que tu aimes tout le monde mieux que moi. Aujourd’hui je n’ose pas sonder mon opinion à ce sujet. Je reste dans le vague, dans la crainte de trouver quelque dure vérité qui me blesserait le cœur sans aucun projet pour toi. Tu m’aimes, c’est convenu, et je dois me trouver très heureuse comme cela. D’ailleurs le bonheur ne veut pas qu’on le regarde de près. Ce n’est qu’à distance et du plus loin possible qu’il est le bonheur. Aussi les myopes, voire même les aveugles sont ceux qui ont le plus de chance d’être heureux. Tant pis pour ceux qui y voient trop bien. Heureusement que ma vue baisse tous les jours, ce qui me permet d’espérer que bientôt je serai la plus heureuse des Juju.

MVHP, MS a8189
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « je n’en n’ai ».
b) « T’en ».


18 avril [1849], mercredi midi.

Après beaucoup de craintes et d’alternatives sur notre petit trajet, me voici enfin fixée par le soleil. J’irai te conduire quand tu voudras ; j’irai, j’irai, j’irai. Il fait un froid de loup mais cela ne m’effraie pas, au contraire. Ce qui me fait peur, ce que je redoute le plus au monde, c’est de ne pas te voir. Le reste je m’en fiche pourvu que ce ne soit pas une infidélité ou le choléra [1]. Maintenant, mon petit homme, dites-moi ce que vous avez fait depuis hier. Tout ce que vous avez fait, si vous l’osez. Quant à moi je n’ai pas besoin d’une grande bravoure ni d’un supplément de courage pour vous raconter ma stupide et ennuyeuse vie depuis hier. Le récit n’en serait pas compliqué mais mortellement embêtant. Si j’en juge d’après mes propres sensations pour peu que votre curiosité en témoigne le moindre désir, je pourrai la satisfaire en peu de mots. En attendant, je vous attends, pour n’en pas perdre l’absurde habitude et je vous prie de ne pas prolonger ce stupide exercice au-delà de toute patience humaine. Mon petit homme béni, mon amour bien aimé. Je t’aime au milieu de tous mes ennuis et je ne troquerais pas mon amour contre les plus amusantes et les plus agréables choses du monde. Ceci est bien vrai, mon adoré, je t’aime plus que le plaisir et le bonheur, plus que la vie.

Juliette

MVHP, MS a8190
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

Notes

[1Une épidémie de choléra sévit depuis le mois de mars.

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