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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 avril [1849], mardi matin, 6 h.

Bonjour, mon tout bien aimé, bonjour mon petit adoré Toto, bonjour. Je suis levée depuis plus d’une heure parce que je veux aller à Saint-Mandé [1] ce matin. Il est tout à fait nécessaire que j’y aille à cause de l’urgence de la grille réclamée par la commune. J’espère être revenue avant 1 h. de l’après-midi. Il ne dépendra pas de moi que je sois de retour pour le moment où tu dois venir me chercher. Mais avant, j’ai voulu t’écrire ce petit bonjour tout chargé de tendresse et d’amour. Je ne serais pas tranquille si je ne t’avais pas écrit ce petit bonjour habituel. D’ailleurs c’est à force de t’aimer que je trouve la force de supporter la vie isolée que le bon Dieu m’a faite. Sois béni, mon adoré, car tout ce que j’ai eu de bonheur en cette vie c’est toi qui me l’as donné, tout ce que j’ai de courage et de consolation, c’est en toi que je le puise. Aussi je t’aime du double amour du cœur et de l’âme, de l’admiration et de la reconnaissance. Je t’aime comme une femme et comme une servante. Je m’enivre de ton regard et je baise tes pieds avec vénération. Je voudrais être morte pour t’aimer comme un ange. Mon Victor adoré, tout ce que j’ai de meilleur est à toi et me vient de toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 111-112
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse


17 avril [1849], mardi matin, 7 h.

Bonjour, mon doux bien-aimé, bonjour. Dors bien, mon pauvre amour, prêche-moi d’exemple puisque tu veux que je dorme tous les jours huit heures. Pour t’obéir, j’ai remarqué l’heure à laquelle j’éteignais ma lampe, c’était à dix heures, mais je me suis réveillée tant de fois dans la nuit et depuis cinq heures et demie du matin que je ne dors plus. Je crois que je n’ai pas tout à fait mon compte de sommeil quoi qu’il y ait 10 heures que je sois au lit. Cependant je vais bien mais toi, mon cher petit homme, comment vas-tu ? À quelle heure es-tu rentré cette nuit ? As-tu fait de bonnes besognes à cette susdite assemblée ? Je ne comprends pas quelle nécessité il y avait à faire cette séance de nuit ? Dans tous les cas je trouve que c’est bien peu prudent dans ces temps de choléra. Il me semble que c’est déjà beaucoup trop de vous tenir enfermé dans cette sentine qu’on appelle l’Assemblée, plusieurs heures par jour sans y joindre encore la nuit. Vraiment ça a l’air d’un parti pris pour vous faire crever. On n’ose pas vous donner des boulettes ostensiblement, on vous suggère des séances de nuit. C’est adroit, mais ce qui ne l’est pas c’est que vous y consentiez. À votre place je sais que je serais restée chez moi bien tranquillement, voire même avec ma vieille Juju, ce qui est sans danger, voime, voime. Vous êtes une bête, baisez-moi.

Juliette

MVHP, MS a8187
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine


17 avril [1849], mardi matin, 11 h. ½

J’espère que tu ne te seras pas trop fatigué à cette séance de nuit et que tu auras eu bien soin de n’avoir pas froid en revenant ? Je le verrai bien tantôt ; en attendant, je me fais de la patience et de la confiance comme je peux et je vous aime sans rime ni raison. Il est vrai que s’il me fallait vous aimer autrement je ne vous aimerais pas, les motifs et les prétextes manquant. Avec tout cela je vous ai donné ma clochette en verre de bohème et je ne le regrette pas parce que vous avez été bon et généreux envers moi au-delà même de ce que je pouvais espérer. Aussi je ne me regarde pas comme quitte envers vous, au contraire. Dans ce moment-ci même je cherche autour de moi ce que je pourrais vous offrir comme appoint mais je ne vois rien de digne de vous être offert. Si vous voulez de mon cœur je vous le donne tout entier avec ce qu’il y a dedans. Autrefois vous vous seriez contenté de cet appoint et vous n’auriez pas désiré autre chose ; maintenant je crois que c’est surtout beaucoup de choses que vous lui préférez, ce qui prouve que les goûts se suivent et ne se ressemblent pas. Aujourd’hui vous aimez mieux la goinfrerie Paul Meurice qu’une petite ripaille chez la Juju. Je n’ai rien à dire à cela sinon que vous êtes libre et que je suis très mystifiée. Hum ! Si je m’étais doutée plus tôt de la machine, comme je m’en serais gardée ! Enfin, je suis flouée il n’y a plus à s’en dédire et je ne vous en adore que plus, ce dont j’enrage.

Juliette

MVHP, MS a8188
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

Notes

[1Claire Pradier, la fille de Juliette Drouet, est enterrée au cimetière de Saint-Mandé.

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