Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1845 > Mars > 23

23 mars 1845

23 mars [1845], dimanche matin, 11 h. ¼

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, mon amour chéri, bonjour, mon Toto. Je ne t’embrasse pas même en pensée, dans la crainte de te communiquer l’affreux rhume monstre qui m’a envahie toute entière. Loin de diminuer, il augmente de minute en minute. Je ne sais pas où cela s’arrêtera mais c’est bien ennuyeux. Ce qui ne l’est pas moins non plus, c’est la présence quotidienne des fumistes. Ce matin à sept heures et demie du matin, ils étaient chez moi. Tout est de nouveau plein de cendre, de suie, de plâtre et de ramoneurs. Il est vrai d’ajouter que ce ravissant tableau a eu un entr’acte de 2 heures par la soûlerie d’un des rapiats. Tu vois d’ici le bon sang que je fais. Il est impossible d’être plus sale et plus contrariée que je ne suis. Ajoutes-y l’honneur bestiale et crétine de ma servarde et tu verras quel plaisir j’éprouve en ce beau jour de fête. Pour me faire prendre patience, je pense à toi, je t’aime et je t’espère. Si tu viens travailler ce soir, je tâcherai d’être moins abrutie, quoique cela me paraisse au-dessus de mes moyens pour le quart d’heure. Il est vrai que si tu me parlais, je serais très aimable, mais le moyen de ne pas succomber à l’influence du rhume de cerveau quand on ne peut pas échanger un traître mot de la soirée ni donner un baiser à son petit Toto ? Pour moi, j’y renonce et je me réfugie sous mon traversin pour tâcher d’y étouffer mon hideux rhume et y endormir tous mes désirs et tout mon amour. C’est égal. Viens travailler ce soir. J’aime encore mieux cela que rien.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 217-218
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


23 mars [1845], dimanche soir

J’ai bien besoin de te voir, mon bien-aimé. J’ai bien besoin d’un rayon d’amour pour égayer cette triste et ennuyeuse journée pendant laquelle j’ai eu tous les tracas imaginables. Je te fais grâce des détails mais tu peux te rendre compte de ce que j’ai souffert quand je te dirai qu’à 2 h. de l’après-midi, j’avais encore au milieu de mon salon les gravois, les seauxa, la suie, les cordes et les fumistes. Depuis ce temps-là, je lave, je balaye, je secoue, j’époussette, je range, je grogne, je souffre, je geins et je m’enrhume. Oui, mon Toto, je m’enrhume. Je trouve moyen de reculer les limites connues du rhume de cerveau. Voilà plus de huit jours que le crescendo de la moucherie et de la tousserie continue, ce qui ne s’était jamais vu de mémoire de nez et de gorge. Ou cela s’arrêtera-t-il ? Dieu le sait. Pour moi, je me résigne à cette vie marécageuse et plein de mouchoirs de poche, pleins eux-mêmes de toutes sortes de choses... Pouah ! Quel dégoûtantb jeu de mots (je pourrai dire de maux). Il faut avoir le cerveau bien malade pour risquer de pareilles plaisanteries. Je t’en demande humblement pardon, mon Toto, mais si tu voyais dans quel état je suis, tu ne serais plus étonné de rien. En attendant que tu viennes, mon Toto chéri, je pense à toi, je t’aime et je te désire de toutes mes forces. Tâche de venir bien vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 219-220
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « les sceaux ».
b) « quelle dégoûtant ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne