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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 mars 1845

16 mars [1845], dimanche matin, 11 h. ¼

Bonjour, mon petit Toto chéri, bonjour, le plus décoré des hommes [1], bonjour, bonjour : « Il n’a rien à sa boutonnière, honneur, honneur à Béranger » [2]. Attrapea ça, champagne, c’est du lard en temps de carême.
Comment vas-tu, mon petit Toto chéri ? Moi je vais couci-couça. Ce temps me rend toute blaireuse. Cela ne m’empêche pas d’avoir été très heureuse hier au soir et d’espérer de l’être encore davantage ce soir, car tu viendras, n’est-ce pas, mon petit homme adoré ? C’est si doux de te voir même quand tu ne me dis rien et même quand tu me rabroues comme un pauvre chien. Je te vois, c’est du bonheur. Je t’arrangerai la table bien en face la cheminée. Je t’organiserai très bien cela. Tu seras comme chez toi, tu verras. Et puis je n’aurai peut-être pas si mal à la gorge et à la tête ce soir. Je vais me gargariser tout à l’heure pour être comme une crème quand vous viendrez. À propos de crème, j’écris avec votre fameuse plume. PROFANATION. Je la sens qui grince de rage d’écrire de pareilles stupidités, la malheureuse, je la plains et je comprends son martyre, je le partage même. Je me dépêche d’en finir avec elle pour ne pas vous l’exténuer de chagrin.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, je vous adore malgré les honneurs et les dignités dont vous êtes accablé et chamarré. Je vous adore comme un simple homme que vous pourriez être et que vous n’êtes pas. Je baise vos quatre petites pattes blanches et votre bec rose.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 195-196
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « attrappe ».


16 mars [1845], dimanche soir, 10 h.

Mon petit Toto chéri, vous êtes féroce avec vos promesses de ne pas venir, promesse que vous tenez toujours avec une ponctualité atroce. Qu’est-ce qui vous empêche de venir ce soir ? Ce n’est pas le travail, puisque vous travaillez chez moi comme vous voulez ? Ça ne peut être que parce que vous avez grande réception et grand tralala chez vous ? Ou bien encore parce que vous avez quelque gros bonnet à coiffer ce soir ? Vous n’en conviendrez pas mais, qu’importe, si le résultat pour moi est de ne pas vous voir. Vrai, mon adoré, qu’est-ce qui peut donc t’empêcher de me voir ce soir ? Je voudrais me faire illusion sur ce que tu m’as dit en t’en allant mais je sais trop que cette manière vague de t’exprimer cache d’affreuse résolution. Aussi j’ai par avance tout le déplaisir du désappointement. Si, par impossible, tu venais, ce serait une véritable surprise pour moi et une surprise bien heureuse. Mais tu ne viendras pas, j’en suis bien trop sûre. Mes petites fillettes s’en sont allées à neuf heures et demie. Claire s’en ira demain matin, reconduite par le neveu du frotteur. Il n’y a pas d’autre personne pour le moment. Lanvin est auprès de M. Pradier. Eulalie est à la barrière de l’Étoile [3] et il faut que ma péronnelle soit à huit heures sonnant à la pension. Tu vois qu’il faut que j’use du commissionnaire. Mais tout cela ne t’intéresse pas, mon adoré, et moi j’ai bien autre chose à te dire, d’abord, et surtout, que je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 197-198
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Victor Hugo est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1825, officier de la Légion d’honneur en 1837 et il est académicien depuis le 7 janvier 1841 (il y entre le 3 juin).

[2Extrait de chanson tirée du Tailleur et la fée ou les chansons de Béranger, conte fantastique mêlé de couplets de MM. Émile Vander-Burch et Ferdinand Langlé, représenté pour la première fois au Théâtre du Palais-Royal le 3 août 1831. Le deuxième couplet de la chanson, chantée sur l’air du « Baiser au porteur » est le suivant : « Quand la liberté restaurée / Releva son vieil étendard, / Fuyant une ignoble curée / Où les valets couraient de toute part, / Il s’est tenu dignement à l’écart ; / Sa conscience libre et fière / D’aucun emploi n’a voulu se charger. / Il n’a rien à sa boutonnière : / Honneur ! honneur à Béranger ! ».

[3La ville de Paris est alors entourée de murs d’enceinte. Ces barrières étaient des lieux où bon nombre de Parisiens venaient se promener. La barrière de l’Étoile était située au niveau de l’Arc de Triomphe. Derrière ce nom se cache plutôt une porte : la barrière de l’Étoile était le passage privilégié vers le bois de Boulogne et Neuilly.

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