2 mars 1845, dimanche matin, 11 h. ¼
Bonjour, mon petit bien-aimé, bonjour, mon ravissant Toto, bonjour, mon cher amour adoré, bonjour, ma joie, ma vie, mon âme, bonjour. Comment va M. Fouchera [1] ? J’espère que tu m’en apporteras de meilleures nouvelles tout à l’heure. Je voudrais qu’aucune idée triste ne se mêlâtb à mon bonheur d’hier. Pour cela, j’ai besoin que tout le monde soit heureux et bien portant autour de toi.
Cher adoré bien-aimé, je viens de baiser à l’instant même avec un sentiment de reconnaissance et d’amour les délicieuses tendresses que tu as écrites hier sur mon cher petit livre [2]. Déjà hier je les avais lues à genoux en priant le bon Dieu de te rendre dans tout ce que tu as de plus cher sur la terre et au ciel les bénédictions que tu me donnais si généreusement. J’espère qu’il m’aura exaucée. Je t’attends, mon bien-aimé, avec l’amour dans le cœur, dans les yeux et sur les lèvres. Il me semble parfois, tant mon aspiration vers toi est grande, que mon âme va s’envoler au ciel. Je vais préparer ton eau pour tes chers petits yeux, qui ne sont pas petits du tout, et puis je me débarbouillerai. Je voudrais bien que d’ici à ce que ce soit fini, tu puisses venir me dire un petit bonjour. Cela me ferait trouver la journée moins longue et moins sombre. Tâche de venir, mon cher amour, je t’en prie, je t’en prie.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16358, f. 139-140
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « M. Fouché ».
b) « se mêla ».
2 mars 1845, dimanche soir, 9 h. ¼
Je suis privée, mon adoré, de lire Le Journal des Débats [3] quoique je désirasse fort le lire. Il faudrait que tu puissesa me le rapporter, ce qui n’est pas probable, mais il m’a été impossible de lire dès que ces enfants ont eu mis le pied chez moi. Il est impossible du reste, j’ai regret de le dire, de voir un enfant plus gâtée et plus insupportable que l’aînée [4]. Je suis plus que jamais de l’avis qu’on ne la mette pas à la pension de Claire. Elle ne peut que contribuer à un éloignement et à une rupture entre Claire et son père plutôtb qu’à un rapprochement définitif. C’est une peste de méchanceté et de malice noiresc que cette petite fille. Il faudrait le courage que j’ai eu pendant dix ans avec Claire pour changer ce naturel dévié et vicieux et ne crois pas que j’exagère le moins du monde. Si tu avais pu voir cet enfant pendant cinq heures comme moi, tu n’en penserais pas autre chose que ce que je pense. Quant aux autres, ce sont, jusqu’à présent, des bons petits diables d’enfants bien gâtés mais bien gentils [5].
Avec tout cela, mon bien-aimé, je ne t’ai pas vu à peine. Je prévois que ce moment tant désiré des discours achevés se passera dans l’attente, comme toujours. Cependant, tu m’as donné hier un bon petit moment que je n’ai pas oublié et des bonnes lignes d’amour que j’ai relues et baisées bien des fois et que je relirai et baiserai jusqu’à la fin de mes jours. Ce n’est donc pas le moment de me plaindre, aussi je me tais et je t’embrasse de toutes mes forces.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16358, f. 141-142
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « tu puisse ».
b) « plus tôt ».
c) « noire ».