14 février [1849], mercredi matin, 8 h.
Bonjour, cher petit homme, bonjour affreux gueulard. Je ne vous aurais jamais cru aussi goinfre que vous l’êtes. Cependant nous verrons ce soir comment vous supporterez les hors-d’œuvrea de stupidités et les entremets d’inepties dont on vous comblera. Quant à moi je m’en liche les barbes d’avance et je me fais une joie de vous voir aux prises avec votre gourmandise avérée et votre friandise d’esprit ; ce sera superbe à voir. Je regrette seulement de n’avoir pas un confident ou une confidente pour me ficher de vous toute la soirée à bouche que veux-tu ? mais c’est égal je préfère mon plaisir solitaire à votre [laprerie ?] en commun avec des Badoulards et des Badoulardes vieilles. Quel Bonheur ! Toto est bourré, mais Toto est vexé, Toto tord et avale mais Toto bisque et rage. Vraiment ce sera très amusant. Pour ma part, je ne voudrais pas que quelque incident fâcheux empêchât cette savoureuse mystification. D’ailleurs je vous verrai quelques heures de plus que si j’étais restée chez moi ce qui par le temps de République et de Débine générale n’est pas à dédaigner.
Juliette
MLVH, 46-51LASVHR et V
Transcription de Gérard Pouchain
a) « hors-d’œuvres ».
14 février [1849], mercredi matin, 11 h.
Je suis sûre que vous me faites encore apprêter pour rien. Quel hideux plaisir trouvez-vous à me faire harnacher d’aussi bonne heure tous les jours puisque vous n’allez jamais à l’Assembléea avant trois ou quatre heures ? Ceci ressemble fort à un parti-pris, à une vengeance mystérieuse à laquelle vous me condamnez comme un affreux tyran de je ne sais PADOUE [1]. Mais vous avez beau faire je suis invulnérable et même inviolable, hélas ! Je suis bronzée par le guignon et tannée par les déceptions de tout genreb. Je suis une Guanhumara [2] moderne que rien ne peut plus étonner ni émouvoir. Vous me donneriez tout à l’heure le cornet de la mère Antoine [3] que je dirais : merci vous êtes un bonhomme. Vous ne me donnez rien et je vous appelle : vieux cancre avec la même liberté d’esprit. Non c’est comme cela je n’ai plus rien d’humain [4]. Je voudrais voir la république les quatre fers en l’air, les 900 sur le pot [5], moi seule en être cause et m’acheter tout ce qui me ferait plaisir [6]. Je suis devenue féroce avec l’âge. Je me sens des dispositions à faire des ailesc de pigeon au président de la république [7], à tirer le nez des représentants… avec des pincettes, à houspiller Proudhon et à casser plusieurs manches à balai sur le dos de Ledru-Rollin. Voilà où j’en suis arrivéed en l’an de grâce de la république une et indivisible. Cependant je veux bien encore vous conseiller de venir manger votre fricot de bonne heure pour être plus tranquille.
Vente Boisgirard-Antonin, expert Thierry Bodin, Drouot, salle 4, 24 mai 2019, lot n° 241
Transcription de Jean-Marc Hovasse
a) « l’assemblée ».
b) « de tous genres ».
c) « aîles ».
d) À partir de ce mot, la fin de la lettre est écrite en perpendiculaire.