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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 janvier [1845], lundi soir, 5 h.

Eh ! bien, mon petit Toto bien aimé, avances-tu dans ton discours [1] ? C’est demain que tu le lis, hélas ! cela veut presque dire que je ne te verrai pas aujourd’hui. J’en suis si convaincue que je n’ai pas pu desserrer les dents de la journée même pour faire taire Cocotte et Suzanne qui criaient à qui mieux mieux. Ajoute à cette tristesse du cœur les ennuis de mon déménagement [2] qui croissent et se multiplient à l’infini, et tu verras que ta pauvre Juju n’est rien moins que folâtre. J’ai fait acheter aujourd’hui ces deux tonnes [3] à huile cerclée chacun de cinq cercles de fer. Elles ont coûté toutes les deux 26 francs et 1 franc de transport. J’en suis malade. Prévoyant que ce serait quelque chose d’aussi énorme, j’avais donné contre-ordre à Mme Sauvageot pour l’étoffe de mon corsage de robe. Je m’y fais mettre de jolies petites pièces bien rapportées et cela me fera le même profit, sinon le même honneur. Cette petite économie est presque la moitié de cette dépense inattenduea mais ce n’est pas encore assez malheureusement. Maintenant il faut les faire défoncer par le menuisier. Après quoi, j’espère que je n’en entendrai plus parler. Ces tonnes, du reste, durent trente ans et plus intactes, soit en terre, soit à l’air. Je n’ai pas la prétention d’assister à leur décadence et je garde par devers moi la facture de ce qu’elles ont coûté afin d’y perdre le moins possible lorsqu’il sera question de les céder. Pendant que j’y suis, je te dirai que le mur est décidément démoli. Il ne reste plus qu’à le remolir [4] le plus vite possible. Demain je demanderai à parler au propriétaire au sujet de l’état de lieu. Je crois que je me consolerais de mes tonneaux si je pouvais obtenir de ce vieux vieillard la décharge des réparations à venir lorsque je quitterai sa maison. Mais j’ai peu de confiance dans mon éloquence, en fait de raison persuasive, ce bonhomme n’aime que celles sonnantes, trébuchantes et ayant cours en or ou en argent. Ce sont à tout prendre les meilleures. Enfin j’essaierai.
Quand je pense, mon adoré, que tout le temps que durera mon déménagement, mes gribouillis seront pleins d’histoires du même genre que celle-ci, cela me fait bâiller pour toi. Je te conseille de n’en lire aucun, si ce n’est les premières lignes et les dernières parce que dans celles-là, je ferai tout mon possible pour n’y fourrer que des bonnes tendresses et des bonnes caresses du cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 43-44
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « inatendue ».

Notes

[1Victor Hugo prépare alors le discours de réception de Saint-Marc Girardin qu’il prononce le jeudi 16 janvier à l’Académie française.

[2Juliette Drouet déménage le 10 février 1845 du 14 au 12, rue Sainte-Anastase. Victor Hugo loue ce rez-de-chaussée avec jardin depuis le 14 août 1844, depuis lors en travaux pour rénover les trois pièces et la cuisine.

[3« Vaisseau de bois fait de douves assemblées au moyen de cerceaux et ayant deux fonds ; sorte de grand tonneau plus renflé par le milieu que le tonneau ordinaire » (Larousse).

[4« Remolir » par opposition à « démolir » signifie ici « reconstruire ». Est-ce un néologisme inventé par Juliette Drouet ?

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