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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 août [1848], jeudi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour mon amour adoré, bonjour. Tu pensesa que je n’ai pas cru à la réalisation de ta promesse hier et que je n’ai pas espéré une seule minute avoir le bonheur de te voir. Ce n’est pas avec les choses sans nombre que tu as à faire que tu peux disposer d’un moment, c’est-à-dire de deux heures de chemin pour venir me voir une minute. Aussi n’ai-je même pas la consolation de t’attendre et de penser que tu peux venir d’un moment à l’autre. Tant que tu seras à un bout de Paris et moi à l’autre, il est évident qu’il faut que je renonce au doux espoir et aux bonnes chances de te voir [1]. Mon Dieu, quand donc aurez-vous enfin fini de voir des appartements ? Il me semble que cela traîne et que je n’arriverai jamais à me rapprocher de toi. Il y a des moments où le découragement me prend et vraiment il y a bien de quoi. Te voir une minute dans la rue en public et faire pour cela une heure et deux heures et quelquefois plus de faction sans compter le trajet, c’est pour en mourir d’impatience et de découragement. Ce matin je suis dans une grande tristesse. Il me semble que tout mon bonheur est fini et qu’il ne recommencera plus jamais.

Juliette

BnF, Mss NAF 16366, f. 293-294
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « Tu pense ».


24 août [1848], jeudi matin, 10 h.

Cher adoré, encore une bien sombre et bien maussade journée. Cependant il dépend de toi, et malgré le bon Dieu, d’en faire une journée ravissante et rayonnante pour moi. Pour cela tu n’as qu’à rester avec moi bien longtemps à me prouver que tu m’aimes. Je t’assure que, quel que soit l’état du ciel à ce moment-là, celui de mon cœur sera la joie, le ravissement et le bonheur le plus parfait. Cependant je n’ose pas l’espérer, la République a bien autre chose à faire que de donner un moment de loisir à un de ses représentants et un siècle de bonheur à une pauvre Juju. Je le sais, et c’est pour cela que je lui souhaite la peste, la rage et le choléra Proudhon indéfiniment et jusqu’à ce que mort s’en suive. J’avoue que j’aurais un moment agréable à lui voir tirer le nez tout bonnement. En attendant, j’en ai un besoin désagréable du moment, à mener la vie que je mène. Je la troquerais bien pour quelque chose de plus amusant et de plus heureux. N’y a-t-il personne au monde qui veuille faire ce marché avec moi et prendre la République et son auguste famille pour appoint ? Personne ne répond, il n’y a pas de Renard assez Simon [2] pour faire une spéculation aussi désintéressée et je vois bien qu’il faut que je me résigne à monter la garde indéfiniment à la porte de la stupide mais grotesque Assemblée nationale. Je l’insulte comme je peux et je vous adore, vous.

Juliette

BnF, Mss NAF 16366, f. 295-296
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

Notes

[1La famille Hugo, qui vit depuis le 1er juillet rue de l’Isly, emménagera le 15 octobre rue de la Tour-d’Auvergne. Afin de se rapprocher de son amant, Juliette Drouet quittera la rue Sainte-Anastase pour la cité Rodier durant le mois de novembre 1848.

[2Simon Renard est un personnage de Marie Tudor.

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