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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 mars 1846

10 mars [1846], mardi matin, 9 h. ½ 

Bonjour mon bon petit homme, bonjour mon cher bien-aimé, comment va ton rhume ? J’espère que le sang que tu as mouché hier t’aura débarrassé la tête et que tu en souffres moins ce matin ? As-tu bien dormi cette nuit, mon pauvre aimé ? Si je t’avais eu auprès de moi je t’aurais si bien réchauffé et si bien dorloté qu’il me semble que je t’aurais guéri tout de suite. Tu devrais tâcher de venir tantôt te le faire brûler, ton rhume, par moi. Je t’installerais dans mon fauteuil auprès de mon feu et puis je te ferais boire des bonnes choses bien chaudes et bien sucrées. Qu’en dis-tu ?
Tu ne veux donc pas m’ôter Cocotte absolument ? Eh bien ! Je la donnerai à la première personne venue. Je te le répète tous les jours parce que tous les jours je suis poussée à bout par cette pauvre petite bête qui n’en peut mais, quoique très douce et très gentille. Cela me fera de la peine certainement quand je m’en séparerai mais je ne crois pas que cette peine soit comparable à l’impatience qu’elle me cause tous les jours par ses cris. Je jure Dieu par exemple que ce sera la dernière qui entrera chez moi car je me reconnais incapable de tirer de ces jolis petits oiseaux autre chose que des maux de tête. Maintenant que je t’ai fait toutes mes lamentations à ce sujet, permets-moi de me rabibocher en te baisant à indiscrétion depuis la tête jusqu’aux pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 247-248
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


10 mars [1846], mardi après-midi, 4 h. ½ 

Je t’ai vu partir avec peine, mon pauvre petit souffrant. J’aurais voulu pouvoir te garder et te soigner auprès de mon feu. Cependant mon cher trop enrhumé scélérat, vous ne méritez pas beaucoup cette tendre sollicitude, à voir l’empressement que vous mettez à me fuir pour courir chez les duchesses. Il faut que vous soyez bien enrhumé pour que ma bonté naturelle prenne le dessus sur ma trop juste indignation. Cependant je veux vous guérir, j’y tiens absolument. Venez donc bien vite, mon pauvre gendarme, que je vous mouche et que je vous baise alternativement jusqu’à ce que vous ne sentiez plus votre mal. Il paraît que votre griffon héraldique [1] n’est pas seulement un griffon mais le diable à confesser. Voilà la seconde fois qu’on le défait. Vos linéaments noirs faisaient le plus mauvais effet possible. Il faudra tout bonnement faire une espèce de bossage pour indiquer les ailes et les écailles. Rien n’est plus difficile à faire dans de la grosse tapisserie que les blasons à cause de la précision de certains détails. Enfin avec beaucoup de patience on en viendra peut-être à bout. Que vous veniez tout de suite et je serai la plus heureuse des femmes surtout si vous ne souffrez plus autant que tantôt. Mon adoré je t’attends, je te désire, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 249-250
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Juliette Drouet tapisse un fauteuil aux armes de Victor Hugo.

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