Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1846 > Février > 15

15 février [1846], dimanche matin, 9 h. ½

Bonjour plus qu’aimé, bonjour adoré, bonjour mon généreux Victor, bonjour mon âme, mes pensées et ma vie, à toi. Tu n’as pas pu venir cette nuit et je m’y attendais car outre les devoirs du monde que tu avais à remplir hier tu as dû avoir chez toi affluence d’admirateurs et d’amis. Quand Claire est revenue de chez son père hier, je lui ai appris ce que tu avais dit de flatteur pour lui à la Chambre [1]. La pauvre enfant était transportée de reconnaissance et de joie, elle aurait voulu pouvoir te sauter au cou pour te remercier de tout son cœur. Pour moi j’attends que tu viennes ce matin et que tu m’apportes Le Moniteur. Ce sera la première fois que je l’aurais désiré et maintenant ce ne sera pas la dernière. Qui m’aurait dit jamais qu’il viendrait un jour où je pourrais désirer voir et lire ce journal officiel. Tout est possible et tu ferais bien d’autres miracles ma foi. Clairette avait reçu sa lettre de convocation vendredi : il avait été convenu entre Eulalie et elle qu’elles ne m’en diraient rien pour m’épargner l’inquiétude et l’ennui de cette nouvelle épreuve [2]. Elles ont été désagréablement surprises quand elles ont vu que je le savais. Maintenant au petit bonheur. Et que le découragement ne s’empare pas de cette pauvre enfant si elle échouait encore jeudi. D’ici là, elle va encore bien travailler et moi continuer de te désirer et de t’aimer de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 161-162
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


15 février [1846], dimanche après-midi, 4 h. ½

Je devine bien que tu es pris de toutes parts, mon adoré, et que tu ne peux pas venir me donner un pauvre petit baiser en courant. J’espère que tu penses à moi à travers tous les compliments et toutes les admirations dont tu es l’objet, que tu me désires et que tu me plains. J’ai besoin d’y croire pour ne pas me décourager. Il est probable que tu recevras la visite de M. Pradier, si déjà ce n’est pas fait. Il doit être comblé et au septième ciel s’il n’est pas le plus stupide des hommes, ce que je ne voudrais pas nier au risque de me roussir la peau de la main. Quant à moi, mon Victor, je t’en remercie pour ma fille et pour moi. Si je pouvais t’aimer davantage ce serait un motif de plus pour moi mais c’est impossible. Clairette est presque aussi impatiente de t’embrasser que moi-même. Elle trouve que son pauvre dimanche de quinzaine est bien CHESSE et elle le troquerait volontiers contre une soirée entière passée au coin du feu entre toi et moi. Cette enfant n’est vraiment pas difficile, elle tient de sa mère et je ne l’en félicite pas. Quand donc viendrez-vous à la fin ? Voilà bientôt cinq heures. Si vous croyez que je ne suis pas furieuse intérieurement vous vous trompez joliment. Il ne s’en faut pas de l’épaisseur d’un cheveu que je ne sois enragée. Pour peu que vous tardiez encore de quelques minutes, je ne vous conseille pas de vous fier à moi car au lieu de vous baiser je vous mordrai.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 163-164
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Dans son discours à la Chambre des Pairs du 14 février sur la propriété de l’œuvre d’art, Hugo a rendu hommage à James Pradier, « cet homme d’un merveilleux talent ».

[2Claire prépare l’examen pour devenir institutrice.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne