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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 janvier [1848], mercredi matin, 9 h.

Bonjour, mon doux et bien cher petit homme, bonjour, comment vas-tu ce matin ? Dors bien et longtemps je le veux. Je veux essayer sur vous mon pouvoir magnétique à la façon de Balsamo [1], mon Toto. En attendant je veux que vous dormiez et que vous m’aimiez en rêve autant que je vous aime en réalité. Quel dommage que je ne puisse pas te demander d’ici ce que tu penses du projet de cette pauvre mère Luthereau, je pourrais au moins lui répondre avec connaissance de cause [2]. Tandis qu’autrement je ne lui donnerai que mon opinion ce qui n’est pas assez. J’attends de jour en jour, espérant trouver un moment où tu seras moins occupé mais jusqu’à présent cela ne s’est pas trouvé et je crains d’attendre longtemps car tu me parais bien en train de travailler. Si tu viens de bonne heure tantôt je tâcherai de te prendre deux ou trois minutes pour cette affaire qui intéresse tant cette pauvre femme. Il fait un temps magnifique, c’est dommage que je ne puisse pas sortir avec toi. Demain j’irai te chercher. Il faudra que je t’attende dans l’église Saint-Germain-l’Auxerrois ce qui ne sera ni très charmant ni très amusant. Tu tâcheras de ne pas m’y laisser trop longtemps. Il est probable, le froid aidant, que je regretterai plus d’une fois la maison de l’aimable Céleste [3]. Pour le moment je n’ai pas le choix. Je ne peux t’attendre que dans une église et la plus près est Saint-Germain-l’Auxerrois. Ce sera à toi à ne pas m’y faire faire de trop longue station. En attendant je me chauff[e] tant que je peux et je t’aime encore plus.

Juliette

MVH, 9014
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux


5 janvier [1848], mercredi midi

Où es-tu, mon petit bien-aimé ? Penses-tu à moi, m’aimes-tu, me désires-tu et reviendras-tu bientôt ? Je t’attends, je te désire, je ne pense qu’à toi et je t’aime comme un chien. Tâche de venir bientôt pour que je te voie plus longtemps, cela me rendra bien heureuse. Mme Guérard m’a fait dire qu’elle viendrait déjeuner demain avec M. Cacheux à 10 h. ½ et qu’elle me laisserait libre tout de suite après. Justement voici les cacaotiers qui viennent de venir et qui se disposent à faire leur parfumerie demain. Heureusement que Suzanne m’a avertiea assez à temps pour que je puisse les contremander. Ce sera pour vendredi. Je jouirai à moi toute seule de cette cassolette odorante. Je suis assez égoïste pour n’en vouloir donner à personne.
Mon Dieu que je suis bête ce matin encore plus que d’habitude. Il me semble que je suis tout aplatieb et toute blaireuse. Je ne trouve rien dans ma pensée, rien dans mon cerveau, rien dans ma poche, tout est dans mon cœur et n’en veut pas sortir sous aucun prétexte. J’ai beau cogner et taperc dessus avec le bec de ma plume le vieux frileux ne veutd pas s’ouvrir et j’en suis réduite à faire la conversation à travers la porte ce qui fait que je n’entends que la moitié de l’amour qu’il me dit et que je le répète tout de travers. Il est vrai que tu le sais par cœur et que tu ne serais pas embarrassé pour répondre à la demande : « qu’arriva-t-il ensuite ? » Réponse : elle t’adore.

Juliette

MVH, 9015
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « avertis ».
b) « applatie ».
c) « cogné et tapé ».
d) « veux ».

Notes

[1Allusion à Joseph Balsamo (1743-1795), dit le comte de Cagliostro, spéculateur et aventurier italien. Initié à la franc-maçonnerie au cours de ses voyages en Europe, il affirme posséder un sérum de jeunesse qu’il vend aux crédules et prétend avoir le pouvoir de faire apparaître les morts. Arrêté par la Sainte-Inquisition en 1789, il est condamné à la peine de mort pour hérésie, sentence commuée en prison perpétuelle. De 1846 à 1849, Alexandre Dumas fait paraître sous forme de feuilleton dans La Presse un roman inspiré de la personnalité et de la vie de Balsamo.

[2Mme Luthereau souhaiterait revendre à Paris des livres appartenant à son époux – Jean Luthereau, imprimeur à Bruxelles – et sollicite l’avis de Victor Hugo sur ce projet.

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