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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 décembre [1847], lundi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon Toto, bonjour, mon doux adoré, bonjour, où faut-il que je mette le baron Mortier [1] ? De ton côté n’oublie pas d’écrire à Mme Bourelet [2] de lui envoyer une loge. Cela est très important pour mon bonheur. Il est vrai que tu peux m’en offrir une fois une ANNUELLEMENT dans des conditions inacceptables. Tiens, tiens, sur quel ermite ai-je marché ce matin ? Je suis dans des dispositions grognardes tout à fait gracieuses. Il ne me manque plus que d’avoir la migraine pour être au complet. Heureusement que je ne l’ai pas, ce qui me permet de rebrousser chemin et de redevenir très AIMABLE. À preuve que je viens de mettre dans le sac tous vos papiers sans grincer des dents et sans bougonner.
Cher petit bien-aimé, mon amour adoré, mon Victor je t’aime. Mon cœur saute de bonheur en pensant à toi. Je voudrais baiser tes pieds. Je t’admire et je t’aime. Tu es mon doux amant béni et vénéré. Quand je te vois tout est joie et amour en moi.
Mon regret, regret bien vif et souvent bien douloureux, c’est de ne pouvoir t’aider en rien. Si je n’avais pas cela, je ne désirerais rien et me résignerais à tout ce que le bon Dieu m’a fait, sans murmurer. Mais quand je te vois passer tes journées et tes nuits à travailler sans relâche pour tout le monde, je ne peux pas m’empêcher d’être révoltée de l’injustice de la Providence envers toi, et je suis triste jusqu’à la mort.

Juliette

MVH, α 8013
Transcription de Nicole Savy


13 décembre [1847], lundi, midi ¾

Voici ton pauvre écureuil qui tourne dans son [panier  ?] en attendant que tu viennes faire diversion à cet exercice plein de douceur mais assez monotone. Je ne comprends pas que tu prennes la peine de lire tous les jours le même gribouillis, à une patte de mouche près. Il faut que [tu] aies bien de la patience et guère de mémoire pour fourrer ton nez dans ces élucubrations qui n’ont pas variéa d’une syllabe depuis quinze ans. À ta place, je me bornerais à savoir qu’elles existent, voilà tout. Mais ce sont des faiblesses et des niaiseries qu’on fait quand on a un grand cœur et un grand esprit [3]. Et, pour être vraie jusqu’au bout, je dirai que je serais bien fâchée que tu ne les aiesb pas, ces mêmes faiblesses et ces mêmes niaiseries, pour ces pauvres gribouillis ineptes sortis tout chauds tout bouillantsc de mon cœur. Tu as raison mon grand cœur, tu fais bien mon grand esprit de ne pas dédaigner, malgré sa forme, l’amour le plus pur qui ait jamais existé. Il n’y a pas de génie qui vaille pour le bonheur un seul mot d’amour vrai. Aussi pour être digne de toi, je t’aime avec une application et une perfection au-dessus de toutes les choses de ce monde. Sans fausse modestie, je crois n’être au-dessous d’aucun autre mérite puisque je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime et je t’aime.

Juliette

MVH, α 8014
Transcription de Nicole Savy

a) « varier ».
b) « aient ».
c) « tout chaud tout bouillant ».

Notes

[1Il doit s’agir du comte Mortier (1797-1864), diplomate et pair de France.

[2À élucider. Juliette s’occupe de places de théâtre, probablement pour la première du Hamlet adapté par Alexandre Dumas et Paul Meurice au Théâtre historique, le 15 décembre, représentation à laquelle Victor Hugo n’assista pas.

[3Juliette se rappelle « La Légende du beau Pécopin », où Pécopin écoute avec ravissement le rouet de sa bien-aimée Bauldour : « Ce sont là de ces bêtises d’homme qui aime ; qu’on fait surtout quand on a un grand esprit et un grand cœur. » (Le Rhin, XX, 18, publié en 1842).

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