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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 septembre [1847], dimanche matin, 7 h. ¾

Bonjour, mon Victor, bonjour et amour qu’on vous dit ; comment que ça va ? Je sais bien que vous me manquez de respect mais je vous pardonne si vous m’aimez un peu. Quand donc me remontrerez-vous le bout du nez de Jean Tréjean [1]  ? Voilà bientôt un an que j’attends. Il me semble que c’est assez de patience comme cela ? Vous abusez de ma confiance et de ma délicatesse c’est bien peu généreux et bien CHÉTIF pour parler votre ARGOT. À votre place je me piquerais d’honneur et je vous en lirais ce soir même deux ou trois chapitres. Mais vous n’aurez pas cette bonté. Je n’y compte pas car je sais trop par expérience à quel [pot  ?] m’en tenir. Voime, voime, voime, avec tout cela j’ai très froid et j’ai peine à tenir ma plume dans mes doigts engourdis. On ne peut pas s’imaginer ce qu’est la température le matin dans un rez de chaussée au nord. À moins d’y être on ne peut pas s’en rendre compte. Quant à moi je me promets, le cas échéant, de ne jamais loger à cette humide et glaciale exposition même avec l’appât d’un jardin. Décidément le soleil n’est pas une chose à dédaigner je m’en aperçois onze mois de l’année sur douze. Cher petit homme, mon Toto, mon amour, je te dis tous mes rabâchages avec un développement qui doit bien t’ennuyera et t’impatienter tout bon, tout patient et tout indulgent que tu es. Je t’en demande pardon et je me promets d’être moins radoteuse à l’avenir. Hélas ! Cela ressemble beaucoup au serment d’ivrogne. Enfin je fais preuve de bonne volonté.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 212-213
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « ennuier ».


19 septembre [1847], dimanche, midi ½

Tu sais d’avance, mon Victor, ce que je vais te dire et je pourrais me dispenser de te l’écrire. Tu connais mon cœur comme moi-même et ce que je t’en gribouille n’est pas pour t’en informer mais pour satisfaire un des besoins les plus grands de ma vie celui de causer avec toi. Plus je vais, mon doux Toto, plus je t’aime ; mon amour après m’avoir envahie tout entière déborde de ma vie et s’attache à tout ce que tu aimes, à tout ce qui te touche, à tout ce qui t’entoure. J’aime le plancher sur lequel tu marchesa, les choses que tes yeux ont vues, la table sur laquelle tu t’appuiesb, les objets que tes mains ont touchés. Toute cette luxuriante végétation d’amour qui sort de mon cœur pourrait couvrir toute la terre et monter jusqu’au ciel sans en être le moins du monde épuisée. Je t’aime avec la sève de la jeunesse et les racines profondes d’un chêne plusieurs fois centenaire. Je t’aime, je t’aime, je t’aime mon âme se tourne vers toi, mon soleil radieux, avec une tendre impatience. Je voudrais hâter par des heures, des journées, des mois et des années de ma vie les minutes qui doivent te rapprocher de moi. C’est avec cette préoccupation constante que je te désire et que je t’attends.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 214-215
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) « marche ».

Notes

[1Depuis quelques semaines, Victor Hugo a repris la rédaction de Jean Tréjean qui deviendra ultérieurement Les Misérables.

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