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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Paris 26 janvier [18]71, jeudi, 1 h. après-midi

Cher adoré, j’ai bien peur que ta nuit ressemble à la mienne et que tu n’aies pas mieux dormi que moi. Mais le moyen de dormir avec tous les tristes sujets d’agitations dans lesquels nous vivons depuis longtemps ? Pour moi je ne le peux pas surtout depuis deux jours. Il faudra bien, hélas ! se résigner à notre malheur commun mais cela n’en est pasa plus consolant. À propos de consolation, je n’ai pas encore eu la mienne aujourd’hui dans la personne de Petite Jeanne. Je suppose qu’elle va bien puisque sa nourrice siffle et chante à peine gorge depuis ce matin. Grâce à ton conseil j’ai pu me réconforter ce matin avec de la soupe au thé et au vin. La biscotte y fait merveille et je compte en user ce soir au dîner, détrempée dans de l’eau seulement. Depuis ce matin les troupes rentrent tristement avec leur matériel de campement. Le ciel lui-même a l’air de porter le porter le deuil de la France. Tout est noir, lugubre, désespéré et navrant. Jusqu’aux pauvres chevaux harassés de fatigue et de misère qui ont l’air de comprendre le malheur général. Tant que cette douloureuse amputation ne sera pas achevée il est impossible de ne pas souffrir jusque dans la moelle des os. Pour moi je te voudrais déjà bien loin d’ici avec tous tes chers enfants.
En attendant Suzanne m’a dit tout à l’heure qu’elle espérait que je voudrais l’emmener avec moi partout où je te suivrais. Je le lui ai promis conditionnellement car j’ignore encore ce que sera notre sort. Tout ce que je sais c’est que je dois vivre et mourir à tes côtés. Le reste regarde le bon Dieu et son représentant actuel sur la terre le nommé Guillaume [1]. Ici petite Jeanne fait son entrée radieuse avec son cortège de joujouxb et de poupées. J’en profite pour te baiser sur ses deux joues roses.

MLVH Bièvres, 130-8-LAV-VH 41 a, b et c
Transcription de Gérard Pouchain et Florence Naugrette

a) « n’en n’est pas ».
b) « joujous ».

Notes

[1À élucider.

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