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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 avril 1856

Guernesey, 30 avril 1856, mercredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon cher adoré, bonjour, avec toutes les bouches qui te [louent  ?], bonjour, avec tous les esprits qui t’admirent, bonjour, avec tous les cœurs qui t’aiment, bonjour, avec toutes les âmes qui te bénissent et qui ne sont que l’écho affaibli de ce que j’éprouve dans tout mon être depuis l’éblouissement jusqu’à l’extase, depuis l’attendrissement jusqu’à l’adoration, bonjour, dans ta vie et dans ton ciel. Je t’aime encore plus si c’est possible depuis trois jours parce que toutes les fleurs de mon amour sont épanouies à la fois, comme un rosier est plus un rosier lorsqu’il se pare de toutes ses roses. Depuis trois jours je ne peux pas m’arracher de mon second volume [1], je m’y promène comme dans un splendide palais, j’y prie comme dans une église consacrée et je sens mon âme monter jusqu’aux pieds de Dieu dans la spirale de ta sublime poésie. Plus j’admire et plus j’adore, plus j’ai besoin d’admirer et d’adorer. Je lis, je relis sans pouvoir m’arrêter ni me lasser, c’est ainsi qu’on doit être heureux dans le paradis. Que c’est beau, que c’est grand, que c’est bon, que c’est admirable, mon Dieu ! toutes les formules de l’enthousiasme sont idiotes et stupides auprès de ce que j’éprouve sans pouvoir l’exprimer. Aussi j’y renonce pour ne pas gâter mon ravissement intérieur.
Tu vois que je ne m’étais pas trompée sur la colère d’Hetzel, mon cher petit homme, et qu’il s’est hâté de casser les vitres du MICHEL un peu trop LÉVY [2], j’en conviens avec lui, mais utile à garder jusqu’à la fin de cette affaire dont il tient un bout du succès. Il me semble difficile après la lettre de Hetzel [3] que les bonnes relations commerciales entre le susdit Michel ne soient pas un peu détraquées et que par contre cela ne nuise pas à la vente des Contemplations. Cependant, en réfléchissant à ce qui vient de se passer à leur première apparition, je crois qu’il n’est plus au pouvoir de personne et de rien d’arrêter l’incommensurable essora de ce livre surhumain. Aussi je suis parfaitement tranquille malgré les évolutions maladroites des spéculateurs ISRAÉLITES [4] et BELGIQUOIS. Et puis je t’aime depuis un bout à l’autre de l’horizon.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16377, f. 132
Transcription de Chantal Brière

a) « essort ».

Notes

[1Juliette lit le recueil des Contemplations paru le 23 avril 1856.

[2Hetzel est l’éditeur de l’édition belge des Contemplations ; pour l’édition française il est associé à Michel Lévy et Pagnerre. Juliette évoque les tensions qui sont très vite apparues entre ces éditeurs. L’attaque contre Lévy est assez claire et révèle les tractations financières autour de ce qui était déjà un succès de librairie.

[3Pierre-Jules Hetzel, en colère d’apprendre que Lévy, tentait de l’évincer pour une seconde édition du recueil, envoie copie à Victor Hugo de sa lettre à Lévy, en date du 25 avril 1856, dans laquelle il lui demande de s’expliquer sur sa tentative de « prendre sous le nez à un confrère, à un ami, à un associé une affaire qui moralement ne peut et ne doit revenir qu’à lui », Victor Hugo. Pierre-Jules Hetzel, Correspondance, II Victor Hugo publie Les Contemplations, édition établie et annotée par Sheila Gaudon, Klincksieck, « Bibliothèque du XIXe siècle », 2004, p. 311.

[4Terme utilisé par Hetzel dans sa lettre à Victor Hugo ; il désignait Lévy comme « [c]et animal d’Israélite », Victor Hugo. Pierre-Jules Hetzel, Correspondance, op. cit., p. 310.

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