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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 novembre [1838], vendredi après-midi, 1 h. ½

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon grand poète triomphant. Je baise la ravissante petite bouche du premier avec tout ce qu’elle contient et le front sublime du second avec respect et admiration. Le génie est ta couronne à toi [1], et mon amour le coussin où tu te reposes des fatigues de la gloire. Je ne veux pas faire des phrases, et cependant mon amour est si au-dessus de tous les amours qu’il sent le besoin de s’exprimer dans un langage plus recherché. Malheureusement mon esprit n’est pas à la hauteur de mon amour et je suis obligée de te dire tout simplement que je t’aime comme le dirait la première femme venue, c’est très désagréable. Je vous assure mon Toto que ce n’est pas le désir de paraître valoir cinquante mille francs quand je ne vaux que dix sous, c’est le besoin de te montrer à quel point tu es aimé d’un amour divin par une femme vulgaire.
Jour Toto, papa est bien i. J’ai reçu une lettre de Manière avec le billet CORNÉ. Il se plaint d’avoir fait queue pendant deux heures et d’avoir ensuite été expulsé d’une loge du centre par une ouvreuse mal embouchée. Je ne sais pas ce que cela veut dire, nous verrons à éclaircir cette affaire. Je voudrais bien te voir. J’ai un peu mal à la tête mais je compte sur Ruy Blas pour me guérir car je compte user de mes droits de trois premières représentations quitte à abuser de rien ensuite. J’ai versé tout mon sang pour vous, pour votre pièce, j’ai déchiré un gant. Enfin je mérite beaucoup de récompenses, la première de toutes c’est que vous m’aimiez comme je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16336, f. 132-133
Transcription d’Élise Capéran assistée de Florence Naugrette


9 novembre [1838], vendredi soir, 7 h. ¼

Je t’avais écrit une grosse lettre tantôt, mon amour, parce que je pensais qu’on donnait Ruy Blas ce soir. Je n’ose pas me plaindre de cette mesure qui retarde d’un jour mon plaisir et la continuation de ton triomphe, mais je n’en suis pas moins triste et isolée. Tu iras sans aucun doute à Don Sébastien ce soir [2] ? Et probablement encore tu dîneras en famille ? Tout me manque, à la fois sans que tu me plaignes et te regrettes. Enfin, il faut bien se résigner et [illis.]. Je pense à ce que tu es, et à ce que je suis, je me trouve trop comblée d’avoir pour lot de t’aimer dans mon coin seule et oubliée.
Il a fait un temps hideux aujourd’hui, je t’ai à peine vu, et il a plu toute la journée. Si tu vas au Théâtre Saint Martin ce soir, je te prie d’avoir pour moi la même fidélité et la même loyauté que j’ai pour toi en ne regardant aucune femme. Je t’aime et je suis bien triste.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16336, f. 134-135
Transcription d’Élise Capéran assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Citation de Ruy Blas, dans la déclaration d’amour de la Reine au héros : « Sois fier, car le génie est ta couronne, à toi ! » (Acte III, scène 3).

[2Don Sébastien de Portugal, tragédie en cinq actes de Paul Foucher, beau-frère de Victor Hugo, est créé à la Porte-Saint-Martin le 9 novembre 1838.

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