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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er janvier [1839], mardi soir, 9 h. ¾

Il y a juste douze heures, mon Toto, que j’ai reçu ta bonne et ravissante petite lettre [1]. Mon premier besoin et ma première pensée a été de t’écrire. Malheureusement, un malentendu de mon mauvais caractère n’a pas permis que tu visses ma lettre, mais voici à peu près ce qu’elle contenait : mon Toto, je t’aime, mon Toto, je t’adore. Merci, mon amour, de ta généreuse et adorable lettre, merci de tes admirables vers. J’ai le cœur rempli d’un amour ineffable mais je ne peux pas bien te le dire parce que je n’ai pas à ma disposition les expressions qui peignent et qui expriment l’amour admiratif et passionné. C’est une chose que je sens mais que je ne peux pas dire. Absolument comme toi avec la musique, ta voix, au lieu d’être dans ton gosier, est dans ton âme et tu ne peux chanter qu’en dedans : moi, c’est tout à fait comme ça. Je te comprends, je t’admire, je t’adore, mais quand je veux l’exprimer, je ne parviens qu’à rendre des grognements plus ou moins incompréhensibles. Mon cher petit homme, je vous aime, allez, et quand vous paraissez en douter vous me rendez folle de chagrin, témoin ce que j’ai fait ce soir. Je ne pense pas que ce soit réparable, mais je me console par l’idée que c’est une dette définitivement éteinte et dont nous n’aurons plus à nous occuper. Dans tous les cas, mon petit bien-aimé, je vous prie de ne pas vous en tourmenter ni de vous en contrarier, ça n’en vaut pas la peine. L’essentiel est que nous nous aimions et que nous soyons heureux, malgré tous les présages tristes de cette nouvelle année. Je fais contre fortune bon cœur, mais je n’en suis pas moins triste de ne pas souper avec vous : mon Toto, c’est une fatalité qui me décourage et me démoralise. Si je ne craignais pas de t’ennuyera de mes rabâchages je lâcherais la bonde à mon chagrin et nous n’en serions pas quittesb à bon marché. Mais c’est aujourd’hui jour de l’an, jour de fête et de joie et je ne veux pas retarder plus longtemps à me réjouir pour ne pas me porter malheur toute l’année. Pour cela, je t’aime de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 1-2
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « t’ennuier ».
b) « quitte ».


1839, 1er janvier [1839], mardi soir, 10 h. ¾

C’est une bien grande preuve d’amour, mon adoré, que je te donne en t’écrivant cette seconde lettre. Je suis si souffrante que je ne sais même pas si je pourrai l’achever ; mais enfin, à tout événement, je la commence pour te montrer que je t’aime au-delà de mes forces, mon cher petit homme. Je n’ai qu’un reproche à vous faire dans tout cet incident qui attriste notre vie aujourd’hui : pourquoi ne m’avez-vous pas dit tout d’un coup que vous soupiez avec moi ? Cela m’aurait consolée de mes chagrins du matin et m’aurait donné du bonheur pour toute ma soirée. Vous êtes bien MÉCHANT et bien BÊTE de ne me l’avoir pas dit quand il en était encore temps. Au lieu de cela, me revoilà seule avec un dîner absurde sur la conscience et ne sachant pas si vous aurez la bonté et l’esprit de me rendre bientôt l’occasion perdue. Vous êtes mon Toto bien-aimé, bien méchant et bien bon, bien beau et bien noble, je vous aime et je vous PARDONNE de me rendre si FÉROCE. Sans vous, je serais douce comme un mouton : c’est vous qui me rendez méchante et bête, et je suis bien bonne de ne pas vous en garder rancune jusqu’en 1840. J’ai des douleursa de cœur à mourir et pour peu qu’il faille m’occuper de ces hideux papiers déchirés, je ne sais pas ce que je deviendrai. Je souffre vraiment au-delà de toute expression. J’envoie ma Claire se coucher à présent : comme il faut qu’elle se lève demain de bonne heure pour aller chez son père, je ne veux pas qu’elle veille trop tard. Quant à vous, mon petit homme, je vous attends très tôt. Si j’en crois mon impatience et l’influence du MAGNÉTISME, il me semble qu’il est impossible de vous désirer comme je le fais sans que cela vous soit attractif. Je t’aime, mon Victor adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 3-4.
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « douleur ».

Notes

[1La voici, datée du 1er janvier 1839, et transcrite par Jean Gaudon (ouvrage cité, p. 73) : « Tu venais de me raconter toutes ces paroles de haine échappées de ces fangeuses coulisses, c’était cette dernière nuit, je marchais sur le pavé couvert de givre avec une brume glacée qui me piquait le visage, j’ai fait ces vers. / Ils sont un peu tristes, mon pauvre ange, mais je crois qu’ils contiennent cependant un bon conseil, et une vraie consolation. / On nous hait, il faut nous aimer. / Voici notre viatique pour l’année qui va s’ouvrir. Et je la commence par le mot qui la finira, n’est-ce pas ? / Je t’aime !/ 1er janvier 1839 — nuit. » Hugo joint le poème écrit le 31 décembre 1838, qui sera publié dans Les Contemplations (II, 20) : « L’hiver blanchit le dur chemin… ».

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