4 avril 1857

Guernesey, 4 avril 1857, samedi après-midi, 3 h.

À tout prendre, mon cher adoré, j’aime mieux que tu ne m’amènes pas Dumas [1] car je me sens presque honteuse de me montrer sous le triste travestissement que m’ont fait les années. J’ai beau sentir sous cette mascarade morose de la vieillesse l’éternelle jeunesse de mon amour, l’impossibilité de soulever pour un moment le loup qui cache mon âme fait que je préfère ne pas me montrer du tout. Ainsi tu feras bien, dans le cas où tu aurais le courage de ton opinion sur moi vis-à-vis de ce bon Dumas, de ne pas aller jusqu’à l’amener ici et de le priver du court plaisir d’être au milieu de tous les tiens pour le peu de temps qu’il doit passer chez toi. Du reste il fait bien vilain et je doute que vous puissiez faire une promenade aujourd’hui dans l’île. Il est vrai qu’il fera peut-être très beau demain. Dans ce cas, je te sacrifie d’avance et de la meilleure grâce qu’il m’est possible les quelques minutes de bonheur auxquelles j’ai droit. C’est tout ce que je peux faire en l’honneur de cet excellent Dumas qui a le grand mérite à mes yeux de t’aimer et de t’admirer avec tout son cœur et tout son esprit comme je t’adore avec toute mon âme.

BnF, Mss, NAF 16378, f. 59
Transcription de Christine Routier-Lecarpentier assistée de Chantal Brière
[Souchon, Massin]