9 novembre 1873

Paris, 9 novembre [18]73, dimanche matin, 10 h. ½

Tu cèdes avec ton ineffable bonté, mon cher trop bien-aimé, à mes exigences souvent indiscrètes. J’en suis touchée autant que confuse, mais la plus petite marque spontanée de déférence tendre de ta part me satisferait davantage que les plus grandes concessions faites à ma demande. Si tu étais moi au lieu d’être toi, tu comprendrais tout ce que ce reproche a de tendrement douloureux. Heureusement tu es toi, c’est-à dire l’homme le plus aimé, le plus vénéré, le plus admiré et le plus adoré par moi. Beaucoup d’autres femmes te le disent mieux que moi, mais aucune ne le saurait prouver autant que moi, j’en prends nos âmes saintes et qui sont au ciel et Dieu pour témoins et pour garants. Cela ne m’empêche pas, mon divin bien-aimé, de sourire à ton charmant quatrain à Monselet et d’être très reconnaissante du cadeau que tu viens de m’en faire [1]. Quel dommage qu’il fasse si mauvais temps ce matin, nous aurions eu probablement la chance d’avoir Petit Georges et Petite Jeanne à déjeuner ! Enfin, il nous reste la joie de les désirer, de les regretter et de parler d’eux, ce qui est encore un bonheur plus grand que tous ceux dont ils ne sont pas, au moins en pensée.

BnF, Mss, NAF 16394, f. 315
Transcription de Manon Da Costa assistée de Florence Naugrette