14 juin [1838], jeudi matin, 11 h. ½ a
Vous êtes cause, mon Toto, que j’ai déjeuné dans mon lit et que je vous écris dans mon lit. Si vous aviez voulu, j’aurais employéa mon temps bien mieux dans mon lit. Je me suis endormie longtemps après toi, mon amour, parce que je voulais finir cette stupide pièce, Le Bourgeois de Gand [1]Je voulais suivre jusqu’au bout ce travail honteux des voleurs qui pour dénaturer leur vol font avec un vase d’or ciselé par Benvenuto un informe lingot, bon pour les changeurs du Palais-Royal, de même des filous littéraires, avec les merveilles du génie et de la poésie, ils font de platesc pièces cousues de platesc phrases à l’usage de hideux bourgeois dont l’intelligence n’est pas moins mince que les six liards qu’ils touchent toute la journée. J’avoue que ce genre d’industrie me révolte autant pour le moins que les vols à l’américaine, au polonais, ou à l’Abd-el-Kader. Ceux-ci ont au moins le courage de leur état : ils risquent la galère, tandis que les autres, ce qui peut leur arriverd de pire, c’est d’être de l’Académie. Quante à moi, l’indignation me rend presque aussi feuilletoniste que Théo. Gautier mais j’aime encore mieux vous aimer, c’est aussi drôle et beaucoup plus amusant. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Tâchez de ne pas me laisserf crier toute la journée ce mot si ravissant, je t’aime, dans la solitude.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16334, f. 264-265
Transcription d’Armelle Baty assistée de Gérard Pouchain
a) Une croix est ajoutée entre la date et le début de la lettre.
b) « emploié ».
c) « plattes ».
c) « arrivé ».
e) « Quand ».
f) « laissez ».
14 juin [1838], jeudi soir, 6 h. ¼
Pensez à moi, mon petit homme, aimez-moi, mon Toto, et vous ne ferez que me donner un acompte sur l’énorme somme d’amour que je dépense à vous désirer, à vous attendre et à vous admirer. Je profite, mon bien-aimé, des derniers moments que vous pouvez me donner puisque plus tard vous ne le pourrez plus et que je resterai comme un pauvre chien à la chaîne, n’ayant personne à mordre. Je vous dirai, mon Toto, que Bug a le même succès d’enthousiasme chez Mme Pierceau, elle le dévore, comme tout ce qu’elle connaît de toi. Je voudrais bien, mon petit homme, qu’auparavant de vous mettre en train de travailler sérieusement, nous fassionsa ensemble une petite débauche, il y a des mois que vous me la promettez, il serait bien temps de la tenir, votre promesse, n’est-ce-pas, mon amour ? Je pense que vous dînerez ce soir en compagnie d’un petit chrétien fraîchement rémoulub. Je vous prie de ne pas m’oublier car quoiqu’ilc y ait longtemps que j’aie fait ma première communion, je ne vous en aime pas moins d’un amour saint et sacré car vous êtes mon Dieu. C’est bien vrai, allez, je vous aime de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16334, f. 266-267
Transcription d’Armelle Baty assistée de Gérard Pouchain
a) « nous faisions ».
b) « rémoulue ».
c) « quoique qu’il y ait »