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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 12 janvier [18]73, dimanche, 8 h ½ du m[atin]

Je ne te demande pas comment tu as dormi, mon cher bien-aimé, parce que je ne le devine que trop. Tu as encore eu une longue insomnie trop probablement. Entre nous, mon pauvre bien-aimé, et quoi que tu en dises, je suis sûre que tu travailles trop, sans parler de tous les soucis dont ta vie est remplie. Jusqu’à présent ta santé résiste à ce travail surhumain et ton cœur aux mille piqûres de la vie mais en sera-t-il toujours de même ? Je ne peux pas y penser sans une profonde inquiétude. Tout à l’heure, en te voyant prolonger ton apparition sur ton toit humide, j’aurais voulu pouvoir t’en chasser à coups de baisers quoiqu’il me fût bien doux de te voir plus longtemps. J’ai si peur que ta santé ne se trouble que j’en rêve, que j’en parle et que j’y pense toujours au risque d’en rabâcher. Ta santé, c’est ma vie, et ta joie, mon bonheur, voilà pourquoi j’en fais ma préoccupation unique, par pur égoïsme ; ça n’est pas plus généreux que ça, tant pis.
Je ne demanderais pas mieux que d’écarter de toi tous les embêtements du ménage, mon pauvre grand adoré mais c’est bien difficile dans l’état actuel des choses. Tout ce que je veux faire c’est de t’envoyer très régulièrement ton déjeuner et celui de Mme Chenay mais j’entrevois tant de difficultésa du côté de Mme Chenay que le jeu n’en vaudra pas la chandelle. Si tu m’en croyais tu t’arrêterais à ceci : ton déjeuner régulièrement apporté de chez moi tous les jours et un peu moins de de Putron et de Marquand dans la semaine. Quant à t’imaginer que la cherté croissante des vivres n’influe pas énormément sur le budget du ménage, tu te trompes du tout au tout. Et ce n’est pas exagéré de dire que depuis moins de dix ans tout est plus cher d’un grand tiers. Enfin, mon cher bien-aimé, je ferai, comme toujours, tout ce que tu voudras et aussi longtemps qu’il me sera possible, c’est tout ce que je peux te promettre, mes forces et santé étant données. Cela dit, je reviens à mon mouton amour, le seul qui me plait, ce que je voudrais heureux depuis les pieds jusqu’à la tête.

BnF, Mss, NAF 16394, f. 11
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette

a) « difficultées ».

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