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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 février [1847], mercredi, 1 h. ½ de l’après-midi

Bonjour bien-aimé, bonjour mon Victor, mon héros, mon amour, mon Dieu, bonjour. Je viens de faire l’inventaire des faits et gestesa de mon hideux et sale compatriote Lamennaisb. J’en ai rempli trois grandes feuilles [1]. Je ne sais pas ce qu’on pourra faire de cela [2], mais ce dont je suis sûre c’est qu’on n’en fera jamais un dithyrambe en l’honneur de la propreté et de la générosité du susdit cancre, quelles que soientc l’imagination et la bonne volonté qu’on y apporte. Mais en voilà assez sur ce salop [3].
Il y a aujourd’hui deux ans que j’ai couché pour la première fois dans cet appartement [4]. Je te le rappelle, non à cause du bonheur que j’y ai eu depuis, hélas ! mais pour te prier, si la prière peut quelque chose à ce que je veux te demander, de m’aimer autant que tu m’aimais dans l’autre petite maison. Avec ton amour je peux tout supporter, sans ton amour je ne pourrais pas vivre.
Hier tu paraissais bien fatigué, mon Toto, ce que je comprends du reste, avec tout ce que tu fais. Je voudrais dans ces moments-là m’effacer et ne pas t’occuper de moi pour ne pas ajouter au fardeau que tu portes mes tendresses inopportunes. Mais ces bonnes résolutions ne sont jamais tenues parce que je me sens entraînéed, par le bonheur de te voir, à te parler de moi, et de tout ce qui occupe et remplite mon cœur. Je me reproche cet égoïsme et puis je recommence à la première occasion au risque de t’obséder. Mais tu es si bon, si patient, si doux et si indulgent que je suis bien sûre que tu ne m’en veux pas. Je voudrais être aussi sûre de ton amour que de ta bonté, je ne serais pas aussi souvent méchante, triste et grognon que je le suis. Il te serait bien facile de me donner cette conviction si tu voulais car l’amour a cela de bon que s’il s’alarmef facilement, il se rassure de même. Tu vois que rien ne serait plus facile que de me rendre geaie, bonne et aimable, cela dépend de toi. J’attends et en attendant je t’adore et je te baise de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 23-24
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « geste ».
b) « Lammenais ».
c) « quelque soit ».
d) « entraîner ».
e) « rempli ».
f) « s’allarme ».

Notes

[1Victor Hugo a chargé Juliette Drouet de faire certaines recherches pour lui, et de rédiger des notes qu’il exploitera par la suite.

[2Hugo fait l’année suivante, dans Choses vues, un portrait peu flatteur de « l’abbé de Lamennais, figure de fouine, avec l’œil de l’aigle, cravate de couleur en coton mal nouée », qui « a longtemps demeuré quartier Beaujon, tout à côté de Théophile Gautier ».

[3Variante de l’orthographe reconnue : « salaud », par analogie avec le féminin « salope ».

[4Juliette a déménagé, le 10 février 1845, du 14 au 12 de la rue Sainte-Anastase.

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