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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 janvier [1847], samedi matin, 11 h. ¾

Bonjour cher bien-aimé, bonjour mon cher petit homme, bonjour, je vous baise et je vous adore. J’en ai le droit car je suis très propre. Je sors du bain dans lequel je me suis trempée 2 heures, ce qui ne m’empêche pas de souffrir de mon pied comme une enragée.
Qu’est-ce que vous faites aujourd’hui mon Toto, quel chien avez-vous à fouetter ? Vous savez que je me retiens pour aller voir les Tableaux vivants [1]. Je veux être témoin de l’effet que produironta sur vous ces groupes indécents mais vertueux.
Je viens de voir Mme Guérard qui venait vous remercier de l’avoir envoyée à Lucrèce [2]. Du reste elle y prend goût et elle vous prie de l’y envoyer encore une fois quand vous pourrez. Seulement vous aurez la bonté de commencer par moi s’il vous plaît. Moi aussi j’ai envie de revoir Lucrèce et Dieu sait que vous ne vous prêtez pas excessivement à ce goût prolongé. Encore si vous me donniez du Jean Tréjean à discrétion, je ne me plaindrais pas, mais rien du tout. C’est par trop chesse et je pousse d’affreux cris d’indignation et de fureur.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Voilà un temps à aller se promener bras dessus bras dessous. Pourquoi n’en profiterions-nous pas une fois par hasard ? Quant à moi, si vous veniez me chercher, j’irais tout de suite et comme je suis, pour ne pas manquer cette charmante occasion. Malheureusement vous ne viendrez pas. Cela n’est pas probable. Vous aurez sans doute quelque séance et sans cela même vous ne viendriez pas davantage. Je vous connais maintenant, scélérat, et je sais à quoi m’en tenir sur vos promesses. Taisez-vous, qu’on vous dit.
Avec tout cela il faut que je me dépêche car je suis en retard. Rien n’est fait chez moi et il est bientôt une heure. Quel beau prétexte pour vous, si vous saviez cela, pour venir me chercher tout de suite. Cependant ne vous y frottez pas car j’accepterais encore plus tout de suite et vous seriez attrapéb. Baisez-moi, vilain Toto, et aimez-moi un peu et je vous pardonne tous vos crimes. Tâchez de venir bien vite auprès de moi. Je vais faire mon feu pour vous recevoir. En attendant, je vous baise et je vous désire autant que je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 19-20
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « produira ».
b) « attrappé ».

Notes

[1« Dans les années 1846, il y eut un spectacle qui fit fureur à Paris. C’étaient des femmes nues, vêtues seulement d’un maillot rose et d’une jupe de gaze, exécutant des poses qu’on appelait Tableaux vivants avec quelques hommes pour lier les groupes » : Choses vues, édition de Franck Laurent, Livre de Poche, 2013, p. 138. Par ailleurs, le récit par Hugo de la séance de pose du duc d’Aumale chez Vilain les évoque longuement, voir les notes du Journal de ce que j’apprends chaque jour. Hugo avait été introduit dans les coulisses du spectacle, qui se donnait à la Porte-Saint-Martin pendant les répétitions de Lucrèce Borgia.

[2Lucrèce Borgia est reprise à la Porte-Saint-Martin depuis le 23 janvier.

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