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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 janvier [1847], vendredi après-midi, 2 h. ¾

Il me tarde, mon cher bien-aimé, de me retremper dans ta belle et vigoureuse poésie pour sortir de l’état morose et triste dans lequel je suis. Il me semble que c’est là le vrai remède qui convient à mon pauvre esprit affaibli et je le vois arrivera avec espoir et confiance. Je n’ai pas voulu insister pour te prier de revenir ce soir avant ton dîner parce que je crains de te fatiguer avec mes exigences mais je serai bien heureuse si tu peux venir un tout petit moment.
Je ne pense pas que les jeunes Rivière viennent. Entre nous je crois que la mère n’aura pas voulu les laisser revenir avec Eugénie et M. Vilain. Je ne lui en veux pas car j’aurais fait la même chose à sa place.
Ce n’est pas quand l’oiseau est envolé qu’il faut fermer la cage et ce qui abonde ne vicie pas [1] en fait de prudence quand il s’agit de préserver de pauvres jeunes filles de toute mauvaise chance. Du reste je n’en suis que plus à l’aise pour emmener Suzanne, à laquelle j’avais promis cette joie depuis qu’il est question de jouer Lucrèce [2]. Plutôt que de lui faire ce crève-cœur de la laisser à la maison si ces jeunes filles étaient venues, je lui aurais payé une place au paradis [3]. J’aurais ajouté à vos droits d’auteur magnifiquement et généreusement comme il convient à une Juju littéraire. De penser que je vais revoir ma Lucrèce Borgia, cela me ranime et me redonne du courage. Je sens déjà que cela me fait du bien en pensée. J’espère que tu viendras de temps en temps me voir et me baiser dans le fond de ma petite loge, ce qui mettra le comble à mon bonheur. D’ici là, j’ai encore quatre grandes heures au moins à attendre. Mais c’est égal, j’espère, c’est déjà presque le bonheur.
Jour Toto, jour mon cher petit o, papa est bien i, je l’aime plus que jamais. Je l’aime autant qu’une certaine princesse Negroni [4] de mes amies qui en raffolait dans son temps. Je l’aime, je l’aime, je l’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 15-16
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « arrivé ».

Notes

[1Maxime légale : une raison ou un droit de plus ne peut pas nuire dans une affaire.

[2Reprise de Lucrèce Borgia le lendemain à la Porte Saint-Martin.

[3Dernier étage d’une salle de théâtre, où sont les places les moins chères.

[4Juliette Drouet jouait le petit rôle de la princesse Negroni lors de la création de Lucrèce Borgia en 1833, à l’occasion de laquelle ils s’étaient rencontrés.

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