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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 janvier [1847], lundi soir, 7 h. ¾

Je t’ai vu tout à l’heure, mon adoré, j’espère te voir ce soir, ce qui fait que j’ai le cœur à l’aise entre mon bonheur déjà passé et mon bonheur à venir. Tu ne sais pas combien la soirée d’hier m’a paru longue et combien ma nuit a été troublée par le regret de ne t’avoir pas vu. Je suis sûre que l’intensité de mon mal de tête vient de là. Du reste je vais mieux ce soir et je suis sûre encore que tu achèveras tantôt ma guérison. Tu mettrais le comble à ma joie si tu pouvais me lire un peu de Jean Tréjean ce soir. Cependant je n’insisterai pas parce que je sens que tu es épuisé de fatigue. Avant mon plaisir, ta santé qui est ma vie.
Je suis sortie ce soir sans t’en avoir demandé la permission parce que je savais bien que tu ne me l’aurais pas refusée, et étant sûre d’avance que tu ne me gronderais pas quand tu saurais pourquoi. Voilà : depuis que j’ai cette coquille de M. Vilain, j’ai cru remarquer qu’Eugénie et lui semblaient tristes du peu d’empressement apparent que je mettais à la faire monter. Tous les jours je me proposais de te demander la permission d’aller jusque chez Faucheur [1] et tous les jours j’oubliais. Ce soir encore, mais le dîner n’étant pas prêt j’ai pris sur moi d’y aller. Je suis restée en tout vingt-cinq minutes et j’ai conclu pour la monture à 15 f [2]. Tu vois, mon cher adoré, que j’ai raison de ne pas craindre que tu me grondes pour cet acte d’indépendance. Mais comme je pourrais oublier peut-être de te le dire je m’empresse de te le faire savoir tout de suite pendant que j’y pense et que je tiens la plume. Je ne voudrais pas dans aucun cas que tu puissesa me soupçonner de te cacher quoi que ce soit, encore moins quand il s’agit du triste et pieux souvenir de ma pauvre fille.
Mon Victor adoré, mon plus qu’aimé, mon âme, je t’aime sans le moindre trouble et sans la moindre lie de ce qui fut ma première vie. Je t’aime saintement, comme tu dois être aimé enfin. Je me tiens en adoration devant toi comme les anges devant le bon Dieu. Je baise tes chers petits pieds endoloris par le froid, je les réchauffe sur mon cœur. Je te souris, je te bénis et je t’aime de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 5-6
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « puisse ».

Notes

[1L’Almanach du commerce de Paris, des départements de l’Empire français et des principales villes du monde fait mention, quelques années auparavant, d’un Faucheur bijoutier.

[2Victor Vilain a réalisé des bustes et des médaillons de Claire Pradier, morte le 21 juin 1846. La coquille dont il est question est, en sculpture, un petit ornement taillé sur le contour d’un quart de rond.

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