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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 mai 1846

4 mai [1846], lundi soir, 9 h.

Bonjour, bien-aimé, bonsoir mon adoré. Dès que tu suis ma pensée, mon cœur et mon âme s’envolent vers toi pour te dire ce bonsoir tout chargé d’amour et de regrets. Je serais restée jusqu’à ce que la voiture ait disparu s’il n’y avait pas eu un stupide cocher qui me faisait signe de monter et qui me faisait remarquer par son insistance. Je suis partie furieuse contre cet animal et j’ai refait en galopanta le chemin que nous avions déjà parcouru ensemble, en partie du moins. Je suis rentrée avant la nuit fermée. J’ai fait dîner ma pauvre péronelle [1], c’est-à-dire que je lui ai donné un des deux petits pots de crème qu’Eugénie lui avait apportésb. Elle en a mangé très peu, ce qui ne l’a pas empêchée de le vomir tout à l’heure. Cependant je la trouve bien mieux qu’hier. Nous verrons ce que M. Triger en pensera demain. Ce serait bien affreux si tout ce dérangement, toute cette dépense et surtout, avant tout et par dessus tout la privation de te voir et le chagrin d’être loin de toi ne servaient pas à la rétablir promptement. Du reste le bon feu de son père est déjà ralentic. Il n’est pas venu depuis samedi, jour où il passait devant la porte pour aller dîner chez M. Guillaume. Aujourd’hui, il n’a même pas envoyé savoir de ses nouvelles et cependant, je t’assure que M. Triger hier n’était rien moins que satisfait de l’état de cette pauvre enfant. Dieu veuille que la pauvre fille ne s’aperçoive pas si tôt du refroidissement de son père, car dans la disposition de santé et d’esprit dans lequel elle se trouve cela lui ferait peut-être un mal irréparable. J’y fais tout mon possible, mais je crains de n’y pas parvenir car le mépris et le dégoût qu’il m’inspire doivent se trahir quoi que je fasse.
Je n’ai pas écrit hier, mon Victor bien aimé, parce que j’étais dans un véritable accès frénétique de mal de tête. Ce matin j’ai voulu faire le changement indispensable que tu m’avais indiqué pour ma fille, et ce changement a amené un nettoyage qui a duré jusqu’à l’heure où Eugénie et Eulalie sont venues. Ce soir je ne me serais pas couchée avant de t’avoir écrit, quand j’aurais dû y passer la nuit. Je t’aime, mon Victor. Je suis à toi. Tantôt, par une absence de pensée dont je ne me rends pas compte, je croyais ne pouvoir pas te reconduire au-delà du pont de Grenelle, comme si c’était là la limite du possible. Tandis que si je n’écoutais que le besoin de mon cœur, j’irais jusque chez toi et plus loin encore pour ne pas te quitter. Je t’aime. Je te baise. Je te souhaite le [bonsoir  ?]

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 9-10
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « galoppant ».
b) « apporté ».
c) « ralentie ».

Notes

[1C’est ainsi que Juliette surnomme sa fille Claire.

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