Jersey, 10 novembre 1854, vendredi soir
Ce n’est pas chose facile pour moi, mon pauvre bien-aimé, que pendre la crémaillère car jusqu’à présent je rencontre obstacle sur obstacle. La cuisinière sur laquelle je comptais ne pourra pas venir, celle de [Manchor ?] est partie mardi dernier pour Londres d’où elle ne reviendra que lorsque je n’aurai plus besoin de ses services. D’un autre côté il est presque impossible que Suzanne suffise à ce Balthazar monstre. Aussi je ne sais à quelle marmitea entendre et à quelleb dinde me vouer. Plains-moi si ton cœur n’est pas tout à fait fermé à la pitié.
Tu as appris sans doute le désastre arrivé au frère des Asplet [1], celui de Saint-Martin ? une ferme à lui avec tout ce qu’elle contenait : récolte, chevaux, bêtes à cornes, tout a été brûlé cette nuit. C’est Charles Asplet qui l’a dit à Suzanne ce matin. J’en suis vraiment bien fâchée pour ces excellentes gens si bons et si obligeants. Probablement un des deux sera alléc t’apprendre cette triste nouvelle et je ne t’apprends rien en te la racontant. J’ai vu le docteur Barbier. Il sera des nôtres dimanche, moins sa petite fille qui dîne chez le général Le Flô. J’attends la réponse de Dulac par la poste demain mais d’avance je devine qu’il n’acceptera pas, l’événement d’Asplet dont il est le voisin et peut-être l’obligé, l’heure à laquelle nous dînons et la distance sont autant de raisons de refus que je comprends et auquel je me résigne tout en le regrettant pour toi dont il est l’interlocuteur respectueux et l’auditeur admiratif. Quant à moi je t’ai, tout le reste m’est égal comme deux œufs voire même l’embarras hideux dans lequel je me trouve. Ce qui ne m’empêche pas de te baiser, au contraire.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16375, f. 379-380
Transcription de Chantal Brière
a) « quel marmitte ».
b) « quel ».
c) « aller ».