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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 14 avril 1854, vendredi après-midi, [4 ?] h.

Vous en parlez bien à votre aise, mon cher petit homme, de se promener seule comme un pauvre chien galeux et d’ailleurs, bien loin de me faire du bien, cela me fait du mal et cela m’attriste. Maintenant criez tant que vous voudrez et même battez-moi si cela vous amuse, je ne m’en dédirai pas. Cette protestation dûment griffonnée, la force de l’obéissance passive me poussera, j’en ai peur, à prendre mes jambes à mon cou tout à l’heure. Mais qu’est-ce que tout cela prouve sinon que je suis vis-à-vis de vous dans l’attitude de la Turquie en face de Nicolas [1] ? Seulement comme je n’ai pas le moindre allié pour me défendre, je n’essaye même pas la résistance désespérée, je m’aplatisa complètement et je sors le moins que je peux, telle est ma politique.
J’espérais, le jour étant donné, et votre soirée étant prise par le Balthazar Asplet, que vous me donneriez au moins cet après-midi. Vain espoir, absurde illusion, terre et ciel, enfer et malédiction, [huitres ?] paix [ham ?], piments [congrêves ?] mille Vacquerie à la minute, tonnerre et mystification, je me suis trompée comme une Juju que je suis et sans la moindre marinade. Cela n’empêche pas les Jersiais, non confus, de s’ébattre au soleil. Après cela vous me direz que vous n’avez pas besoin de vous gêner avec moi dans une île. Cette raison suffocante m’empêche d’articuler une seule jérémiade de plus. Je m’y tiens et je me résigne avec mélancolie.
Je viens de finir de copire la lettre de ce brave Claude Durand. J’ai compris combien ce sacrifice lui coûtait à faire tout entier. Aussi je suis venue généreusement à son secours. Cependant je doute que mon simple gribouillis lui fasse sérieusement le même plaisir que votre autographe indéchiffrable. Est-ce qu’il ne serait pas possible d’y ajouter votre splendide signature ? Si je dis des bêtises c’est dans une louable intention, maintenant vous en ferez ce que vous voudrez, mon cher petit moqueur, pourvu que vous ne me trouviez pas trop ridicule dans mon extravagantb amour pour vous, c’est tout ce que je désire. Sur ce je vais ma caparaçonner et aller promener mes embêtements sur la colline, sans ravine, la Juju au verjus, en regardant les bateaux sans toto. Enfoncés Richardet [2] et toute l’Académie car j’ai plus qu’eux la rime et la raison.

BnF, Mss, NAF 16375, f. 140-141
Transcription de Chantal Brière

a) « m’applatis ».
b) « extravaguant ».

Notes

[1Allusion à la guerre de Crimée.

[2On ne voit pas qui peut être ce Richardet. Juliette Drouet confondrait-elle avec Richelet, auteur du célèbre Dictionnaire et de La Versification française, ou l’Art de bien faire et tourner les vers (Paris, 1671), traîté de versification continûment réédité ?

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