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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 novembre [1846], jeudi matin, 8 h. ¾

Bonjour mon aimé, bonjour mon Toto adoré, bonjour mon cher amour, es-tu déjà en route ? J’ai une peur de chienne qu’on ne te retienne à déjeuner là-bas. Si cela était je crois que je ne m’en consolerais pas car j’ai trop peu d’occasions d’être avec toi pour ne pas regretter amèrement et à tout jamais celles qui m’échappent. J’ai encore le temps d’avoir ces craintes jusqu’à midi. Trop heureuse si après avoir été bien malheureuse en prévision, je ne le suis pas en réalité après cette heure-là. J’ai très mal à la tête, cela tient à bien des causes que je connais et que ton prompt retour dissipera certainement. En attendant, je fais bonne contenance le plus que je peux.
J’espère que tu n’auras pas froid pour revenir ce matin et que tu auras eu la précaution d’emporter ton gros paletot ? Il est vrai que partant hier dans l’après-midi, et par un soleil admirable, vous êtes assez imprévoyant pour avoir oublié qu’il vous faudrait revenir par une matinée noire humide et froide. Je vous ferai du feu si vous avez froid en arrivant mais cela ne vous aura pas empêché de souffrir pendant 2 ou 3 heures. Taisez-vous vilain insouciant, il faudrait toujours vous surveiller comme un enfant, vous mettre vos mitainesa et vous moucher. Taisez-vous et ne regardez pas tant les belles dames ça fait que vous n’oublierez pas l’essentiel.

Juliette

MVH, α 7814
Transcription de Nicole Savy

a) « mittaines ».


5 novembre [1846], jeudi après-midi, 1 h. ½

Hélas mon Toto, mes craintes n’étaient que trop bien fondées, comme tu vois. Il était en effet presque impossible d’espérer qu’une fois qu’on te tiendrait on ne te lâcherait avec cette facilité. L’événement l’a trop bien prouvé. Je te sais bon gré d’avoir eu cette bonne intention de déjeuner avec moi quoique je n’en aie pas profitéa. Je te remercie d’y avoir songé, je t’aime d’avoir voulu me faire ce bonheur malgré la difficulté insurmontable qui devait s’opposer à son exécution. J’espère que tu seras revenu pour ce soir. Si cela n’était pas je ne sais pas ce que je deviendrais car j’ai mis tout mon courage, toute ma patience à l’œuvre pendant ces dernières vingt-quatre heures. J’irai t’attendre chez Mlle Féau. Dieu veuille que ce ne soit pas inutilement.
J’ai un mal de tête fou. Je ne sais pas ce que je t’écris et j’y vois à peine tant les douleurs sont aiguës. J’aurais peut-être dû attendre qu’elles soient un peu calmées, mais d’un autre côté j’ai besoin de me rabibocher de ma déconvenue de ce matin par un peu de tendre gribouillage. Aussi je m’en donne à cœur que-veux-tu sans me soucier de l’état de ma pauvre cervelle. Tant pis pour elle si elle n’a pas le sens commun. Je t’aime, j’ai besoin de te le dire et je te le dis n’importe comment. Tâche de ne pas me laisser morfondre à t’attendre pour rien chez cette fadasse et insipide Mlle Féau. Je t’en prie, je t’en supplie autant que je te baise et que tu es mon adoré.

Juliette

MVH, α 7815
Transcription de Nicole Savy

a) « profiter ».

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