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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 octobre [1846], lundi après-midi, 2 h. ¼

Je n’ai pas voulu t’écrire ce matin, mon Toto, pour avoir le temps de faire mes affaires et de m’habiller dans le cas où M. Varin viendrait de bonne heure. Maintenant que je suis prête, je t’écris à bride abattue et de toutes mes forces pour ne te rien dire que tu ne saches déjà aussi bien que moi. Je n’ai pas l’esprit inventif, tu le sais du reste, et mon cœur est à l’amour fine depuis le premier jour où je t’ai vu, de sorte que je suis parfaitement monotone depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre. Cependant les variations du baromètre me donnent beau jeu dans ce moment-ci pour te dire quelque chose d’original et de neuf sur la pluie et le beau temps mais je dédaigne ces ressources de Mathieu Laensberg [1]. J’aime mieux être ennuyeusea simplement et de moi-même, sans aide et sans soutien. Du reste tu aurais peut-être bien fait, si tu ne devais pas rentrer chez toi tout de suite, d’emporter ton riflardb [2], si tu ne tiens pas absolument à te faire mouiller jusqu’à l’os. Quant à moi, je voudrais recevoir toute l’eau du ciel sur la tête si je devais vous posséder jusqu’à la dernière goutte de mon existence. Tout mon courage et toute mon ambition n’ont pas d’autre but que cette pensée fixe : être aimée de toi toujours. Tout le reste m’est égal et plus qu’égal et je ne lèverais pas le petit doigt pour tout ce qui n’est pas toi de près ou de loin. Ça n’est pas la première fois que je te le dis et ce ne sera pas la dernière encore car plus je vais et plus je t’aime : je ne sais pas comment cela se fait mais c’est ainsi. Cher petit homme bien-aimé, mon amour, je suis heureuse de sentir que je t’aime plus que ma vie. Je voudrais te le dire avec des mots qui n’auraient jamais servic à personne et dans une langue quid n’aurait jamais été profanée pour te dire dignement ce que je sens d’ineffable et d’adorable en pensant à toi. C’est plus que de l’admiration, plus que du respect et de la vénération, plus que de la reconnaissance et de la piété, plus que de l’amour et de l’adoration. C’est tout cela ensemble et bien plus encore, c’est mon âme, mon cœur et ma vie en extase devant toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 209-210
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieuse ».
b) « rifflard ».
c) « servis ».
d) « qu’on n’aurait jamais été profanée ».

Notes

[1L’Almanach de Liège ou Almanach Matthieu Lansbert (ou autres orthographes) était une publication annuelle parue datant du XVIIe siècle. Il dévoilait les influences des astres sur le cours des choses humaines, tout en prodiguant des conseils pratiques, médicaux et ménagers, des histoires et des anecdotes sur les affaires du temps.

[2Argot : parapluie.

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